WÖLFFLIN HEINRICH (1864-1945)
Les catégories fondamentales de la visualité pure
Les choix fondamentaux qui permettent la constitution d'un langage artistique cohérent portent sur l'opposition binaire de catégories exclusives l'une de l'autre. Pour rendre compte de l'évolution qui fit succéder le baroque au classicisme, Wölfflin propose cinq couples de catégories (Principes fondamentaux de l'histoire de l'art) :
1o Le passage du « linéaire » au « pictural » [...]. La vision plastique, s'appuyant sur les contours, isole les objets ; pour un œil qui voit « picturalement », les objets au contraire s'enchaînent... 2o Le passage d'une présentation par plans à une présentation en profondeur. L'art classique dispose les parties en plans parallèles ; le baroque, lui, conduit le regard d'avant en arrière... 3o Le passage de la forme fermée à la forme ouverte [...]. On peut considérer nettement la facture classique, en face des formes en dissolution du baroque, comme l'art des formes fermées...
4o Le passage de la pluralité à l'unité [...]. Dans un cas, l'unité s'obtient par l'harmonisation de parties qui restent indépendantes, dans l'autre, par la convergence des divers membres en un motif, ou par la subordination des éléments à l'un d'eux, dont la fonction directrice est indiscutable.
5o La clarté absolue ou la clarté relative des objets représentés [...]. L'époque classique a conçu un idéal de clarté absolue que le xve siècle n'avait soupçonné que confusément, et que le xviie siècle a délibérément abandonné [...]. La composition, la lumière, la couleur n'ont plus désormais pour fonction première de mettre en évidence la forme ; elles mènent leur vie propre.
Wölfflin met en garde contre plusieurs contresens.
Ces catégories ne représentent pas cinq critères du style, hétérogènes l'un à l'autre ; elles définissent une même réalité sur laquelle elles sont cinq « points de vue » différents, et on pourrait en trouver d'autres sans inconvénients.
Contrairement aux catégories a priori de Kant, elles ne sont pas universelles, au sens où elles constitueraient le fondement de toute esthétique : elles ne s'appliquent qu'à la distinction entre Renaissance et baroque. Pour rendre compte de l'évolution du style gothique, il faudrait d'autres catégories, « parallèles ». Il y a recommencement des mêmes problèmes, mais sous une forme différente. La notion de profondeur, liée à la perspective, est inopérante pour un art qui l'ignore.
Ces catégories sont relatives, n'existent qu'en opposition l'une à l'autre et n'ont aucune valeur ontologique. Elles sont les pôles d'un devenir, d'un passage de l'identique au contraire : ainsi, le passage du style tectonique à l'atectonique. La pensée de Wölfflin est dialectique, elle illustre l'évolution continue au lieu de la couper en périodes bien délimitées. Seul le caractère exemplaire de quelques chefs-d'œuvre permet de situer le moment classique.
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Écrit par
- Jean WIRTH : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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