WÖLFFLIN HEINRICH (1864-1945)
Les avatars d'une théorie
Le succès même des idées de Wölfflin a fait naître certaines erreurs d'interprétation.
Ainsi, en cherchant à faire entrer toute la production artistique du xvie siècle dans l'alternative : Renaissance ou baroque, on méconnaît l'évolution pensée par Wölfflin au profit d'hypothétiques ruptures. Quant à l'introduction du concept de maniérisme par Dvořák, Pinder et d'autres, elle ne corrige pas la problématique binaire de Wölfflin, mais procède d'une conception très différente de l'histoire de l'art.
L'application des concepts de Wölfflin aux autres périodes de l'histoire (E. d'Ors) fait problème lorsqu'on veut y étendre des catégories conçues pour l'étude d'une époque, au lieu d'en chercher de « parallèles ». Mais certaines expressions de Wölfflin semblent autoriser la confusion. Ainsi : « Il existe un classique et un baroque non seulement dans les temps modernes et dans l'architecture antique, mais également dans un domaine aussi particulier que le gothique ».
En suivant l'évolution de la pensée de Wölfflin, on aperçoit mieux les difficultés inhérentes à sa systématisation.
La seconde partie de Renaissance et Baroque pose le problème des causes externes du changement de style. Les transformations de l'architecture obéissent à une modification générale du « sentiment de la vie » dont la poésie, la musique, la mode et la religiosité contribuent à donner une image cohérente. La cause ne précède pas le phénomène conditionné mais le contient : elle en est le contexte historique, qu'il ne faut pas confondre avec le « milieu » selon Taine. Mais, progressivement, Wölfflin se détourne du problème ; dans les Principes fondamentaux de l'histoire de l'art, les causes externes ne sont envisagées qu'au niveau de la conclusion. La continuité d'un « sentiment de la vie », liée aux caractères nationaux, rend possible une configuration de la vision qui ne lui doit pas pour autant sa cohérence.
Dans Renaissance et Baroque, le style est considéré, en lui-même, comme chargé de valeurs expressives, qui s'opposent par leur caractère fondamental à l'expression particulière de l'artiste ; ainsi, le baroque produit un sentiment de massivité et d'écrasement. Dans Die Kunst Albrecht Dürers, c'est par opposition aux formes de la représentation que se définit l'expression. Enfin, dans les Principes fondamentaux de l'histoire de l'art, Wölfflin se reproche d'avoir jadis conféré au style une expressivité, tout en reconnaissant que la limite n'est pas rigoureuse entre l'élément de style, inexpressif, et l'intention d'exprimer propre à l'œuvre.
Cette évolution de Wölfflin correspond à l'assimilation progressive des problèmes de l'art à ceux du langage, du style à la langue. Les analyses de l'architecture, dans Renaissance et Baroque, utilisaient au contraire des concepts empruntés à la musique (harmonie, rythme, crescendo, résolution...), que Wölfflin connaissait très bien. À la forme abstraite de l'architecture répondait une analyse qui évitait d'y chercher un discours. L'architecture ne parle pas, elle procure des états d'âme : bien-être, malaise, satisfaction ou tension, légèreté ou écrasement. Elle est en résonance directe avec l'organisme humain, car anthropomorphique. On reconnaît ici l'apport de la théorie de l'Einfühlung (empathie), renouvelée par Robert Vischer. La thèse de doctorat de Wölfflin portait précisément sur la psychologie de l'architecture, la signification des formes étant conçue à un niveau plus profondément vécu que celui du langage.
La pensée de Wölfflin s'enracinait donc dans les courants les plus audacieux de la philosophie[...]
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Écrit par
- Jean WIRTH : professeur d'histoire de l'art à l'université de Genève
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