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GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) Du Moyen Âge à la période contemporaine

Le Moyen Âge marque une rupture dans l'histoire des grammaires. Le savoir de la langue entre en effet en dialogue avec la philosophie et la logique. Cette dimension spéculative influera profondément sur son évolution, en l'amenant à concevoir l'idée de grammaire universelle, tournée vers l'étude des traits communs à toutes les langues. Cette réflexion, qui lie étroitement art de parler et art de penser, trouve des prolongements à l'âge classique dans la grammaire de Port-Royal, ou encore, plus près de nous, dans l'œuvre de Noam Chomsky.

Définition médiévale d'une science grammaticale

Au Moyen Âge, la grammaire, l'un des trois « arts du langage » (trivium), avec logique et rhétorique, ouvre le cursus universitaire : fondée sur Donat et Priscien, elle sert à interpréter et à commenter les textes, puis, avec la redécouverte successive d'Aristote et les progrès de la logique, elle devient une réflexion originale sur le langage : 1.  en confrontant à ses définitions celles des logiciens : pour Priscien, le nom signifie « une substance avec ses attributs caractéristiques », mais pour saint Anselme (De grammatico, « Sur le terme grammairien »), le substantif blancheur exprime une qualité et l'adjectifblanc, de même signification, consignifie (= évoque et suppose l'existence de) l'être ou l'objet qui la possède ; 2. en se donnant pour objet propre le discours « correct » (congruus), conforme aux règles de la grammaire, la logique traitant du discours conforme à la vérité (verus). Avec Guillaume de Conches et son élève Pierre Hélie, vers 1125-1150, elle se définit non plus comme art, mais comme science (Fredborg) énonçant donc, suivant l'exigence d'Aristote, des règles de portée générale, en établissant leurs causes. Grammaire universelle, « s'abstrayant de toute langue particulière » (Robert Kildwardby), « unique et la même chez tous » (Roger Bacon, 1220-1290), elle étudie les traits communs à toutes les langues – opposition voyelle/consonne ou sujet/prédicat et surtout l'obligation de décomposer en mots, dans la successivité du discours, une pensée globale et instantanée – et laisse à la grammaire impositive les règles particulières à chaque langue ; 3. en élaborant, à partir de 1250, les concepts techniques pour l'analyse du signifié grammatical, consignification et mode de signifier (Pinborg) : une première « imposition », croit-on communément, a donné un nom (dictio) aux choses, une deuxième en fixe le statut grammatical : la même douleur, comme subie, s'exprime par une interjection, comme notion permanente, par un substantif, comme vécue dans le temps par un verbe. Les modes de signifier essentiels définissent les parties du discours et les spéciaux, leurs sous-classes : ainsi nom et pronom signifient tous deux sous le mode du permanent, mais sous le mode de la saisie déterminée (chaque nom a un sens défini), ou indéterminée (démonstratif ou anaphorique, le pronom change de référent suivant les emplois). Les modes accidentels déterminent nombre, genre, cas, etc. et les modes relatifs, les relations syntaxiques. Dès la première génération de grammairiens modistes, vers 1270, Martin de Dacie abandonne le cadre logique sujet-prédicat et distingue seulement des constructibles unis dans une construction intransitive (Socrate dort ou le livre blanc) ou transitive ([je]lis un livre ou le livre de Pierre), suivant qu'ils réfèrent à une ou à deux substances, d'où accord (concordantia) ou rection (regere, regimen) : binarisme rigoureux, mais qui embrasse difficilement une phrase complexe à termes nombreux. L'antique notion d'ordre naturel (la substance précède obligatoirement ses accidents) permet d'attribuer un rang, antécédence ou subséquence (a parte ante/a parte post) aux termes[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
  • : professeur à l'université de Provence, chaire d'histoire de la langue française
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Jean-Claude CHEVALIER, Universalis et Jean STÉFANINI. GRAMMAIRES (HISTOIRE DES) - Du Moyen Âge à la période contemporaine [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARABE (MONDE) - Langue

    • Écrit par David COHEN
    • 9 385 mots
    • 3 médias
    ...c'est-à-dire qu'il en fût tiré un corps de règles, une claire description d'un usage devenu coercitif. La tradition impute l'initiative de la constitution d'une grammaire au calife ‘Alī, qui l'aurait ordonnée pour défendre précisément la pureté linguistique du texte sacré contre les risques de corruption que lui...
  • ARISTOPHANE DE BYZANCE (257 av. J.-C.?-? 180 av. J.-C.)

    • Écrit par Universalis
    • 192 mots

    Directeur de la bibliothèque d'Alexandrie vers ~ 195, Aristophane de Byzance publia une version d'Homère, la Théogonie d'Hésiode, Alcée, Pindare, Euripide, Aristophane et peut-être Anacréon. Un grand nombre des « arguments » qui figurent au début des manuscrits de comédies et...

  • BEAUZÉE NICOLAS (1717-1789)

    • Écrit par Michel BRAUDEAU
    • 278 mots

    Né à Verdun, Beauzée s'attache d'abord aux sciences et aux mathématiques avant de s'intéresser à la grammaire. Lorsque Dumarsais meurt en 1756, Beauzée lui succède à la rédaction des articles de grammaire de l'Encyclopédie. Il publie en 1767 sa Grammaire générale ou...

  • CORAN (AL-QURĀN)

    • Écrit par Régis BLACHÈRE, Claude GILLIOT
    • 13 315 mots
    • 1 média
    ...qui faisait de la langue arabe en général, et du texte coranique en particulier, l'insurpassable expression de la transcendance elle-même. Commentaires grammaticaux et recherches philologiques n'ont donc pas été, dans l'Islam des origines et jusque dans le monde islamique contemporain, des disciplines...
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Voir aussi