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CONTINU & DISCRET

Jeu scientifique sur le continu et le discret

Conformément aux valeurs affectées par Kant au continu et au discret, la physique, science mathématique de la nature, se sert du continu et du discret pour modéliser le monde et comprendre la tension entre celui-ci et le discours qu'elle tient. L'interférence entre ce que dit la physique et le sens philosophique du continu, du discret et de leur opposition est devenue plus flagrante avec l'apparition des deux grandes théories « révolutionnaires » du début de ce siècle : la relativité et la mécanique quantique.

Il est possible de dire plus précisément que la relativité met en question le statut du continu des formes a priori gouvernant la phénoménalité, cependant que la mécanique quantique est en première approche une « critique » des standards logiques de jugement auxquels se réfère l'entendement. Ni la relativité restreinte ni la relativité générale ne mettent en cause le principe selon lequel le phénomène appartient à un continuum spatio-temporel. Mais la théorie restreinte reconsidère les statuts de l'espace et du temps dans ce continuum : leur distinction n'est plus absolue, elle est relative aux systèmes de mesure des observateurs « inertiaux » ; chacun de ceux-ci pose un temps et un espace universels et « séparés », mais les partages des uns et des autres diffèrent, la théorie prescrivant la mathématique des traductions nécessaires. La théorie générale abandonne l'idée de modéliser l'espace-temps des événements de l'univers par un espace vectoriel, et lui substitue une variété différentiable. Ce concept exprime adéquatement l'idée majeure de la relativité : le continuum substrat des phénomènes n'est plus identifié que localement avec un morceau d'espace vectoriel de dimension 4 (mathématiquement, on dira que l'univers est localement homéomorphe à R4, avec des applications de transition suffisamment différentiables, pour que les concepts de la mécanique – vitesse, moment, etc. – aient un sens) ; cette idée est en fait déjà plus ou moins explicitement présente dans la théorie restreinte. Une telle redéfinition du cadre dans lequel la mécanique représente l'univers, tout en respectant le rôle assigné par Kant au continu, accentue le divorce entre ce dernier et la philosophie du Même, de la totalisation concordante : l'irréductibilité du local est affirmée dans le milieu ambiant du continu (mais Kant déjà considérait le divers, en tant que simplement « jeté » dans le temps et l'espace, comme menacé d'une incohérence absolue, comme susceptible de ne laisser se constituer ni objet, ni monde, ni sujet).

La mécanique quantique, de son côté, est célèbre pour avoir introduit un doute au sujet du déterminisme (inégalités d'Heisenberg), tout en justifiant théoriquement une description « granulaire », « discrète » du monde microscopique ; de plus, on pointe volontiers qu'elle ne tient pas pour toujours possible la séparation des objets, qu'elle introduit un flou nécessaire dans le réel ou dans la prise que nous avons sur lui peut-être. Ces aspects divers concernent tous la fonction unificatrice de l'entendement, la nécessité de la « logique des objets de l'expérience ». Dans une approche plus théorique du formalisme quantique, on commencera par faire observer en effet que certaines expériences portant sur des flux d'électrons paraissent contrevenir à la règle de distributivité du et sur le ou et vice versa en logique propositionnelle ; l'élaboration complexe qui mène aux espaces de Hilbert généralisés se justifie alors par le désir de proposer un modèle mathématiquement commode pour une logique non distributive de la prédication des « états ». On voit donc comment la mécanique quantique, bien qu'elle propose dans une certaine[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie des sciences, logique et épistémologie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Jean-Michel SALANSKIS. CONTINU & DISCRET [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANALYSE NON STANDARD

    • Écrit par Jean-Michel SALANSKIS
    • 1 411 mots
    D'un tout autre point de vue, l'analyse non standard a apporté un élément de philosophie des mathématiques essentiel, une nouvelle vision ducontinu mathématique. Avec les moyens non standards – quelle que soit la formalisation particulière que l'on utilise – il apparaît que l'on peut « identifier...
  • ANAXAGORE (env. 500-428 av. J.-C.)

    • Écrit par Fernando GIL, Pierre-Maxime SCHUHL
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    La position d'Anaxagore est originale. L'univers se trouve ordonné par des principes de continuité et de structuration, dont la portée est universelle : « Il y a beaucoup de choses de toute sorte dans tout ce qui est assemblé : les semences de toutes les choses, avec toutes sortes de figures et de couleurs...
  • NUMÉRIQUE ANALYSE

    • Écrit par Jean-Louis OVAERT, Jean-Luc VERLEY
    • 6 378 mots
    Le discret et le continu. Fondamentalement, l'analyse numérique établit un rapport organique entre le continu et le discret. Le plus souvent, on approche un problème continu par un problème discret portant sur une suite finie de nombres : parmi les nombreux exemples, citons les valeurs d'une fonction,...
  • RÉELS NOMBRES

    • Écrit par Jean DHOMBRES
    • 14 916 mots
    ...l'aspect lié au mouvement de ces paradoxes, alors qu'il s'agit de mettre en cause toute procédure liée à l'infini, aussi bien dans le continu que dans le discret. Zénon consacre une double contradiction avec l'emploi, dans un sens ou dans le sens opposé, d'hypothèses finitistes ou infinitistes...

Voir aussi