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CICÉRON (106-43 av. J.-C.)

L'œuvre philosophique

L'œuvre philosophique de Cicéron a exercé dans l'histoire de la pensée occidentale une influence très profonde – et l'influence, précisément, qu'il avait souhaitée. Il est apparu non pas comme un créateur mais comme un médiateur, un honnête homme qui, parmi les doctrines existantes, cherchait à définir non pas les plus commodes, mais les plus fécondes pour un humanisme exigeant. Il a fallu les confusions saugrenues de quelques modernes pour voir en lui un simple copiste (on prétend qu'il ne comprend pas ses modèles, mais c'est en général qu'on ne le comprend pas lui-même) ou pour lui demander des innovations, des créations qui n'entraient point dans son propos.

L'itinéraire de l'homme d'action

Ce fut une conception exigeante de l'action et notamment de l'éloquence qui le conduisit à la philosophie. Cela prit d'abord la forme de la réflexion politique. On peut affirmer que, lorsqu'il achève le De legibus, Cicéron a déjà tout dit. Mais ce n'était encore que le temps de la demi-retraite. La victoire de César rend impossible toute action : elle détermine surtout une crise de conscience, une remise en question générale de toutes les valeurs, un retour au fondamental. La mort de Tullia, sa fille très aimée, en 45, achève d'obliger l'orateur à s'attacher désespérément à la sagesse : il ne veut plus retomber dans les désarrois du temps de l'exil. Vraiment, il est philosophe à son corps défendant.

De là le double mouvement d'une œuvre qui, d'une part, répond à tout instant aux exigences de l'action, du présent, de l'événement et, d'autre part, précisément puisqu'elle veut obéir aux exigences de la sagesse, suit l'ordre de la raison. D'abord, Cicéron écrit trois ouvrages qui, de manières diverses, remettent en question sa culture et la philosophie même. Dans l'Hortensius, l'un des grands textes de l'Antiquité, malheureusement perdu à l'exception de quelques fragments, il écrit une exhortation préalable à la philosophie, un « protreptique », qui le conduit à placer au second rang la culture oratoire, représentée précisément par Hortensius. Dans les Paradoxa stoicorum, il justifie, au-delà des stoïciens, ce que peut avoir d'apparemment scandaleux pour le sens commun la vie philosophique telle que Socrate l'avait conçue. Les Académiques ont été rédigés en deux fois : il ne nous reste que I, 2 (appelé aussi Lucullus) et II, 1. Cicéron, à propos de l'Académie, y traite le problème du vrai. Ensuite viennent les applications. Les cinq livres De finibus bonorum et malorum posent, en discutant les thèses des principales écoles, le problème du souverain bien. Les cinq livres des Tusculanes, conversations où Cicéron intervient lui-même, situées dans sa villa de Tusculum, présentent une théorie des passions et du bonheur. Il s'agit en somme dans ces deux ouvrages d'une morale théorique. Puis Cicéron aborde les problèmes religieux : trois livres De natura deorum, deux livres De diuinatione, un livre De fato. On remarque bien que ces questions, qui certes touchent à la métaphysique, sont aussi celles qui intéressent directement un augure romain. Le souci de la morale pratique va s'affirmer dans les dernières œuvres : De senectute, dominé par le personnage de Caton l'Ancien ; De amicitia où Lélius, ami de Scipion Émilien, est protagoniste ; enfin trois livres De officiis, sur les devoirs, où Cicéron, dans le temps où il commence sa dernière lutte contre Marc Antoine, adresse des préceptes à son fils. En même temps, l'œuvre de rhétorique n'a pas été interrompue, et les Philippiques commencent ; ainsi s'accomplit totalement cette union de l'action et de la méditation dont Cicéron avait toujours rêvé.[...]

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Écrit par

  • : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
  • : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines de Caen

Classification

Pour citer cet article

Alain MICHEL et Claude NICOLET. CICÉRON (106-43 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Buste de Cicéron, I<sup>er</sup> siècle avant J.-C. - crédits :  Bridgeman Images

Buste de Cicéron, Ier siècle avant J.-C.

Autres références

  • CICÉRON ET CATILINA - (repères chronologiques)

    • Écrit par Xavier LAPRAY
    • 456 mots

    — 106 Naissance de Cicéron à Arpinum dans une famille de l'ordre équestre.

    — 81 Durant la proscription de Sylla, le jeune Catilina se fait remarquer en traquant les condamnés à travers toute l'Italie, empochant la récompense lorsqu'il ramène leur tête à Rome.

    — 80 ...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet, il...

  • TRAITÉ DES LOIS, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par Michèle DUCOS
    • 998 mots
    • 1 média

    Le Traité des lois (De legibus) appartient à la série des œuvres politiques de Cicéron. Il fut sans doute rédigé à la suite du traité Sur la République (De re publica), écrit en 54 avant J.-C. Après avoir établi la meilleure forme de régime, Cicéron se propose en effet de rédiger les lois...

  • ARTS POÉTIQUES

    • Écrit par Alain MICHEL
    • 5 904 mots
    • 3 médias
    Les deux nuances vont rester confrontées à travers l'histoire. Dans le Pro Murena (62 av. J.-C.), Cicéron reprend la théorie de l'inspiration qui lui vient de Platon et d'Héraclite et tente de la concilier avec l'éloquence prônée par Aristote. Dans l'Orator, il pose la...
  • CATILINA LUCIUS SERGIUS (env. 108-62 av. J.-C.)

    • Écrit par Joël SCHMIDT
    • 448 mots

    Les périodes de guerre civile engendrent toujours des hommes dénués de scrupules et prêts à profiter de toutes les situations. La République romaine, au milieu du ~ ier siècle, n'échappe pas à cette loi et sécrète pour sa propre ruine Lucius Sergius Catilina, célèbre surtout pour sa conspiration...

  • CÉSAR (101-44 av. J.-C.)

    • Écrit par Claude NICOLET, Michel RAMBAUD
    • 7 706 mots
    • 6 médias
    En juillet 64, Cicéron est élu consul pour 63. Il va avoir à lutter sur tous les fronts, contre la conjuration hétéroclite et subversive de Catilina, contre l'extrême droite du Sénat qui ne lui pardonne pas d'être un homme nouveau, contre les amis de Pompée, enfin contre Crassus et César ; ce dernier,...
  • CLODIUS PUBLIUS APPIUS (env. 93-52 av. J.-C.)

    • Écrit par Joël SCHMIDT
    • 664 mots

    Issu de la famille patricienne Claudia dans la Rome républicaine, le jeune Clodius se signale très jeune par ses malversations : il sert en effet en Asie sous les ordres de son beau-frère, Lucullus, et tente en ~ 68 de soulever les légions afin de s'emparer des trésors et du butin qui appartiennent...

  • Afficher les 23 références

Voir aussi