Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CICÉRON (106-43 av. J.-C.)

Le théoricien politique

Dans l'histoire de la pensée européenne, l'œuvre de Cicéron revêt une importance considérable dans la mesure où il fut le premier homme d'État à tenter de concilier les exigences de la pratique politique et les résultats de la spéculation philosophique. Sans doute les Grecs, et surtout Platon et Aristote, avaient-ils déjà fondé à proprement parler la philosophie politique. Mais le premier le faisait en métaphysicien et en moraliste, sans véritable responsabilité d'homme d'État ; et le second, en savant, cherchant à cataloguer les diverses formes de Constitutions et à en faire l'histoire. Cicéron, au contraire, dans ses principales œuvres de philosophie politique, le De oratore (55), le De re publica (54-51), le De legibus (51), le De officiis (44), ne perd jamais de vue ni son expérience concrète d'homme d'État, ni son dessein d'appliquer au cas particulier de Rome, maîtresse du monde il est vrai, les principes qu'il déduit de sa philosophie. Lorsqu'il écrit ces œuvres, la crise de la Constitution romaine est évidente : chacun s'interroge sur le meilleur régime à établir, sur les devoirs que créent aux citoyens les révolutions et les guerres civiles.

Ce serait une erreur de croire que Cicéron, dans une période de sa vie où l'action lui était pratiquement interdite, où le pouvoir lui avait échappé, ait improvisé, à partir d'une lecture éclectique des Grecs, des œuvres théoriques qui ne seraient en somme que des palliatifs. Dès sa jeunesse, à la différence de la plupart de ses contemporains, il avait considéré la philosophie comme une vocation exigeante et essentielle ; mais il avait refusé les échappatoires qu'offraient alors les doctrines stoïcienne ou épicurienne, qui permettaient à certains, dont son ami intime Atticus, de refuser l'engagement dans la vie politique ; il avait toujours, au contraire, essayé de soutenir l'une par l'autre ces activités à ses yeux complémentaires. Il n'est pas difficile, en effet, de retrouver dans des textes politiques très antérieurs aux grands traités, dans des discours comme le De lege agraria (63), le Pro Murena (63), ou le Pro Sestio (56), qui sont des œuvres de circonstance mais aussi des sortes de manifestes, ou dans sa fameuse Lettre à Quintus en 61 sur les devoirs d'un proconsul, quelques-uns des thèmes qu'il développera et justifiera philosophiquement plus tard. Mais on peut sans doute découvrir aussi, dans l'exposition de ces thèmes, un enrichissement permanent, un passage du simple programme à la théorie, une élévation vers une sorte de mysticisme religieux qui nous fait insensiblement passer du domaine de la politique contingente à celui des « vérités éternelles ». Autour de la formule de la concordia ordinum, Cicéron élabore, vers 63, un programme de réformes politiques qui se situe au niveau de la simple pratique : aménager la Constitution syllanienne centrée autour du Sénat, en ouvrant largement celui-ci à la noblesse municipale italienne des hommes nouveaux ; régler une fois pour toutes la vieille rivalité entre les chevaliers et les sénateurs en reconnaissant définitivement aux chevaliers leurs privilèges financiers et judiciaires, mais en les associant plus étroitement aux décisions de l'Assemblée ; éviter l'intervention du pouvoir militaire dans la politique intérieure. Au cours des années 58-56, l'échec de cette politique, l'expérience amère de l'exil lui font souhaiter, sous le nom de consensus universorum, le rassemblement de tous ceux qui, quelle que soit leur origine sociale (et c'était très neuf), s'accordaient sur certains principes modérés ; quant aux hommes politiques, ils ne devaient désirer qu'une chose : le repos (otium), c'est-à-dire l'absence de guerre et de luttes inexpiables,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
  • : maître de conférences à la faculté des lettres et sciences humaines de Caen

Classification

Pour citer cet article

Alain MICHEL et Claude NICOLET. CICÉRON (106-43 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Buste de Cicéron, I<sup>er</sup> siècle avant J.-C. - crédits :  Bridgeman Images

Buste de Cicéron, Ier siècle avant J.-C.

Autres références

  • CICÉRON ET CATILINA - (repères chronologiques)

    • Écrit par Xavier LAPRAY
    • 456 mots

    — 106 Naissance de Cicéron à Arpinum dans une famille de l'ordre équestre.

    — 81 Durant la proscription de Sylla, le jeune Catilina se fait remarquer en traquant les condamnés à travers toute l'Italie, empochant la récompense lorsqu'il ramène leur tête à Rome.

    — 80 ...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet, il...

  • TRAITÉ DES LOIS, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par Michèle DUCOS
    • 998 mots
    • 1 média

    Le Traité des lois (De legibus) appartient à la série des œuvres politiques de Cicéron. Il fut sans doute rédigé à la suite du traité Sur la République (De re publica), écrit en 54 avant J.-C. Après avoir établi la meilleure forme de régime, Cicéron se propose en effet de rédiger les lois...

  • ARTS POÉTIQUES

    • Écrit par Alain MICHEL
    • 5 904 mots
    • 3 médias
    Les deux nuances vont rester confrontées à travers l'histoire. Dans le Pro Murena (62 av. J.-C.), Cicéron reprend la théorie de l'inspiration qui lui vient de Platon et d'Héraclite et tente de la concilier avec l'éloquence prônée par Aristote. Dans l'Orator, il pose la...
  • CATILINA LUCIUS SERGIUS (env. 108-62 av. J.-C.)

    • Écrit par Joël SCHMIDT
    • 448 mots

    Les périodes de guerre civile engendrent toujours des hommes dénués de scrupules et prêts à profiter de toutes les situations. La République romaine, au milieu du ~ ier siècle, n'échappe pas à cette loi et sécrète pour sa propre ruine Lucius Sergius Catilina, célèbre surtout pour sa conspiration...

  • CÉSAR (101-44 av. J.-C.)

    • Écrit par Claude NICOLET, Michel RAMBAUD
    • 7 706 mots
    • 6 médias
    En juillet 64, Cicéron est élu consul pour 63. Il va avoir à lutter sur tous les fronts, contre la conjuration hétéroclite et subversive de Catilina, contre l'extrême droite du Sénat qui ne lui pardonne pas d'être un homme nouveau, contre les amis de Pompée, enfin contre Crassus et César ; ce dernier,...
  • CLODIUS PUBLIUS APPIUS (env. 93-52 av. J.-C.)

    • Écrit par Joël SCHMIDT
    • 664 mots

    Issu de la famille patricienne Claudia dans la Rome républicaine, le jeune Clodius se signale très jeune par ses malversations : il sert en effet en Asie sous les ordres de son beau-frère, Lucullus, et tente en ~ 68 de soulever les légions afin de s'emparer des trésors et du butin qui appartiennent...

  • Afficher les 23 références

Voir aussi