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BERNIN GIAN LORENZO BERNINI dit LE CAVALIER (1598-1680)

<it>Autoportrait</it> du Cavalier Bernin - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait du Cavalier Bernin

Bernin aurait certainement décliné le qualificatif de « maître du baroque », dont on croit l'honorer. Il est en effet aux antipodes du style « baroque » – au sens étymologique du terme, c'est-à-dire irrégulier et bizarre, libéré des règles – de son contemporain et rival Borromini, qu'il considère comme un hérétique. Comme Rubens ou Le Brun, comme Jules Hardouin Mansart ou Wren dans leurs domaines, il est en fait le maître de ce qu'on peut appeler le « grand style » moderne. Formé à l'admiration des chefs-d'œuvre de la statuaire hellénistique et des maîtres de la haute Renaissance, notamment Raphaël et Michel-Ange, revenant à la discipline du dessin d'après nature selon la leçon de Caravage et des Carrache, il conçoit ses œuvres comme des tableaux et plus encore comme des mises en scène théâtrales, dont il était friand ; il joue avec virtuosité du contraste entre les chairs nues, polies, et les larges drapés qu'il anime dramatiquement pour susciter l'émotion. L'échec de son séjour à Paris en 1665 ne résulte pas d'une opposition entre baroque et classicisme, mais seulement d'une méconnaissance des usages français de construction et de distribution.

Formation et premières sculptures

Gian Lorenzo Bernini est né en 1598 à Naples où son père Pietro, sculpteur florentin de second ordre, était venu travailler, mais il se forme entièrement à Rome où sa famille s'installe en 1605 ou 1606. Gian Lorenzo reçoit ses premières leçons de sculpture de son père et se révèle enfant prodige. Bernin raconta plus tard que, lorsqu'il avait huit ans, le cardinal Barberini avait dit à son père : « Prenez garde, cet enfant vous surpassera et sera plus habile que son maître », à quoi Pietro répliqua : « Je ne m'en soucie pas. À ce jeu-là, qui perd gagne. » L'amour paternel qui transparaît dans cette réplique est certainement l'une des clés de la personnalité de Bernin, qui n'a rien d'un artiste saturnien comme Michel-Ange.

Constamment stimulé par son père, le jeune Bernini se forme en dessinant les marbres antiques du Vatican, notamment le Laocoon, l'Apollon du Belvédère et surtout l'Antinoüs (dans lequel nous reconnaissons aujourd'hui un Hermès) qu'il va « consulter comme son oracle » pour composer sa première figure, raconte-t-il en 1665 devant l'Académie de peinture et de sculpture de Paris, et dont il s'inspire encore pour sculpter les figures d'ange du pont Saint-Ange (1668-1669, deux originaux aujourd'hui à Sant'Andrea delle Fratte). Il apprend aussi à grouper harmonieusement les figures en dessinant d'après les Stanze de Raphaël et Le Jugement dernier de Michel-Ange, se montre sensible au coloris et à l'atmosphère de Titien et de Corrège, et revient également à une étude directe de la nature, cherchant à saisir dans le miroir ou par de rapides esquisses la vérité de l'expression et du mouvement. Il y est encouragé par l'exemple de Caravage, dont les œuvres, petits tableaux de chevalet ou grandes toiles d'autel, ont ouvert la voie d'un retour à la leçon de la nature en réaction contre les virtuoses déformations de la maniera, et plus encore par les compositions d'Annibal Carrache qui le premier proposa dans ses fresques de la galerie Farnèse cette nouvelle synthèse entre idéal antique et vérité d'expression, qui fit la gloire de l'école bolonaise. Ce faisant, Bernin inverse en quelque sorte la démarche des artistes de la haute Renaissance : ceux-ci avaient renouvelé la peinture en étudiant la statuaire antique ; Bernin renouvelle la sculpture en s'inspirant de leurs œuvres.

Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie, Bernin - crédits : AKG-images

Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie, Bernin

Plus précoce encore que Michel-Ange, Gian Lorenzo aurait sculpté à treize ans un groupe qui put passer pour un antique, Zeus allaité par la chèvre Amalthée (1609 ? , galerie Borghèse, Rome), et à dix-sept ans un Saint Laurent, son saint patron martyrisé sur le gril (vers 1614-1615, coll. Bonacossi, Florence), où il affirme sa maîtrise. Introduit par son père dans le cercle du pape Paul V Borghèse (1605-1621), puis auprès des cardinaux amateurs d'art, le jeune Bernin sculpte pour le cardinal Maffeo Barberini, le futur Urbain VIII, un Martyre de saint Sébastien (1615-1616 coll. Thyssen, Lugano) et pour le cardinal Montalto, neveu de Sixte V, un Neptune et Triton, destiné à une fontaine (vers 1620, Victoria and Albert Museum, Londres). Pour la villa du cardinal Scipion Borghèse, neveu de Paul V, où ils se trouvent toujours, il sculpte les groupes d'Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie (1619-1620), Pluton et Proserpine (1621-1622), Apollon et Daphné (1622-1625), qu'il saisit en pleine course et en pleine métamorphose. Il réalise également un David (1623-1624), pour lequel il prend le contre-pied du David serein et méditatif de Michel-Ange, en donnant à sa figure bandant sa fronde la torsion du Polyphème de Carrache à la galerie Farnèse. Comme les sculptures de Jean de Bologne, ces groupes, qui veulent rivaliser avec les groupes hellénistiques, font oublier qu'ils sont taillés dans un bloc de marbre. Bernin abandonne cependant les points de vue multiples chers aux maniéristes : faites pour être vues de face comme des tableaux, ses sculptures étaient présentées adossées aux murs de la galerie Borghèse.

L'Enlèvement de Proserpine, Bernin - crédits : Mondadori Portfolio/ Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

L'Enlèvement de Proserpine, Bernin

<i>Apollon et Daphné</i>, Bernin - crédits : Pirozzi/ AKG-images

Apollon et Daphné, Bernin

<it>L'Âme damnée</it>, Bernin - crédits : Joseph Martin,  Bridgeman Images

L'Âme damnée, Bernin

S'intéressant aux expressions changeantes des visages sous l'effet de la souffrance (Saint Laurent, déjà cité, et L'Âme damnée, vers 1619), de la peur (Daphné) ou de la détermination (David), il taille aussi à cette époque ses premiers bustes, Paul V (vers 1618, galerie Borghèse), Monsignor Pedro de Foix Montoya (1622, couvent de Sainte-Marie de Monserrato). Il réalise également plusieurs bustes en bronze et en marbre du pape Grégoire XV Ludovisi (1621-1623), qui le nomme cavaliere dès 1621, année où il est élu principe de l'académie de Saint-Luc.

<i>Apollon et Daphné</i>, Bernin - crédits : lucarista/ Shutterstock.com

Apollon et Daphné, Bernin

<i>David</i>, Bernin - crédits : Pirozzi/ AKG-images

David, Bernin

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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<it>Autoportrait</it> du Cavalier Bernin - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait du Cavalier Bernin

Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie, Bernin - crédits : AKG-images

Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie, Bernin

L'Enlèvement de Proserpine, Bernin - crédits : Mondadori Portfolio/ Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

L'Enlèvement de Proserpine, Bernin

Autres références

  • APOLLON ET DAPHNÉ (Bernin)

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    Apollon et Daphné est un groupe statuaire de style baroque exécuté entre 1622 et 1625 par le sculpteur romain Le Bernin, conservé à la galerie Borghèse à Rome.

    L’œuvre est une de ses premières sculptures de Bernin (1598-1680). Elle clôt une série de commandes réalisées à partir de 1619 pour...

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    1624-1633 Baldaquin de la basilique Saint-Pierre ; début de l'élaboration de la décoration des quatre piliers intérieurs qui supportent le dôme (statue de Saint Longin, 1629-1638)....

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  • BAROQUE

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    Architecte, peintre et sculpteur, tel est leBernin (1598-1680), qu'en son temps on célèbre comme le nouveau Michel-Ange, et dont la réputation, diffusée par le dessin et la gravure, s'étend à toute l'Europe, rejetant un peu injustement au second plan son rival et contemporain Borromini (1599-1667),...
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