ALIÉNATION
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Analyse d'un complexe sémantique
Le mot français
Il faut tenir compte d'un fait majeur : le terme français « aliénation » est, d'une part, un mot appartenant au fonds français, d'autre part, la traduction approchée d'un groupe de mots allemands qui véhiculent une tout autre tradition de pensée. Il importe donc d'isoler d'abord la fibre de sens qui est de notre fonds et de chercher le principe de limitation propre à cette tradition.
La chose est possible, parce que le mot français aliénation a un champ sémantique assez bien délimité, du moins avant Rousseau. C'est Rousseau, en effet, qui lui octroie la première extension massive, par l'usage qu'il en fait dans Le Contrat social, et le prépare ainsi à recueillir, par voie de traduction, les significations véhiculées par ailleurs dans la philosophie allemande.
Avant Rousseau, le mot aliénation, qui est un calque de l'alienatio latine, appartient principalement à la langue juridique. Il signifie la cession, le don ou la vente de ce que l'on possède à titre de propriété. Il est utilisé en français en ce sens dès le xiiie siècle. À côté de lui chemine le sens d'aliénation d'esprit – alienatio mentis – qu'on rencontre au xve siècle et qui s'est conservé jusqu'à nos jours (l'aliénation mentale de Pinel)... Mais ces deux valeurs d'usage ne se mêlent pas et sont bien distinguées par les contextes. Il faut en dire de même de l'un ou l'autre des usages mineurs qui eurent une moindre influence sur le destin du mot. Ainsi, alienare, au sens de rendre étranger, hostile, alienatio, au sens de dissociation et d'hostilité, sont repris en français et se lisent chez Calvin et Montaigne. On les relève chez des auteurs du xviiie siècle (Mirabeau : « mettre l'aliénation à la place de la confiance »). Toutes ces acceptions ont gardé leur [...]
1
2
3
4
5
…
pour nos abonnés,
l’article se compose de 13 pages
Écrit par :
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
Classification
Autres références
« ALIÉNATION » est également traité dans :
ALIÉNATION, sociologie
Pour les sociologues, le concept d'aliénation a été forgé par Karl Marx à la suite de ses lectures de Hegel. Lors du rapport salarial capitaliste, le résultat du travail de l'ouvrier ne lui appartient pas puisqu'il a échangé un temps de travail contre un salaire. À la fin de cet échange salarial capitaliste, le ré […] Lire la suite
ANARCHISME
L'anarchisme est un mouvement d'idées et d'action qui, en rejetant toute contrainte extérieure à l'homme, se propose de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté individuelle autonome . Bien que l'anarchisme militant ne se manifeste que vers la fin du xix e siècle avec Kropotkine , Élisée Reclus et Malatesta, les lignes essentielles de la doctrine anarchiste se précisent dès la pre […] Lire la suite
ANTIPSYCHIATRIE
Dans le chapitre « Le discours de la folie et la société » : […] La pratique de l'antipsychiatrie, qui se veut au plus haut point incluse dans la cité – posant comme un de ses buts essentiels la tolérance et l'acceptation de la folie, voire sa lecture, à la manière dont on décrypte un rêve ou un symptôme –, ne pouvait que se centrer sur l'articulation de la folie et de la société. Elle a d'abord contesté l'obligation des soins qui fait du psychiatre un auxiliai […] Lire la suite
LE CAPITAL, Karl Marx - Fiche de lecture
Dans le chapitre « Aliénation et déterminisme historique » : […] L'apport scientifique de Marx réside dans le refus des lois classiques et la mise en évidence de lois conditionnelles à certaines phases de l'évolution du système capitaliste, « mode de production » historique qui succède aux modes de production « antique » et « féodal ». Telle est bien l'ambition première du Capital : montrer que le système capitaliste engendre des processus de transformation qu […] Lire la suite
DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE, Étienne de La Boétie - Fiche de lecture
Dans le chapitre « Le pouvoir, ennemi de l'homme » : […] La Boétie est sans doute le premier à aventurer l'idée que les relations sociales ne doivent, en aucune façon, entraver l'indépendance des individus, qui en sont les protagonistes. S'il annonce le célèbre propos de Rousseau, « L'homme est né libre et partout il est dans les fers », il outrepasse le constat désabusé auquel s'arrêtera le philosophe des Lumières. S'interrogeant sur cette aberration q […] Lire la suite
DOMINATION
Dans le chapitre « Théories de la domination » : […] Depuis la critique de l'absolutisme et du despotisme par les philosophes des Lumières, puis, au siècle suivant, le développement des mouvements anarchistes, le thème de la domination n'a pas manqué de théoriciens philosophes, sociologues ou politologues. On connaît les thèses de Marx sur la suppression souhaitée de toute aliénation et exploitation par une dictature, celle du prolétariat. La cla […] Lire la suite
L'ESSENCE DU CHRISTIANISME, Ludwig Feuerbach - Fiche de lecture
Dans le chapitre « L'essence de la religion » : […] « La conscience de Dieu est la conscience de soi de l'homme, la connaissance de Dieu est la connaissance de soi de l'homme. À partir de son Dieu tu connais l'homme, et inversement à partir de l'homme, son Dieu : les deux ne font qu'un. » Telle est « l'essence de la religion en général ». Ce postulat va guider les recherches de Feuerbach qui radicalise dans un sens humaniste les thèses de Hegel au […] Lire la suite
FEUERBACH LUDWIG (1804-1872)
Dans le chapitre « L'aliénation » : […] La critique religieuse de Feuerbach est inspirée et orientée par la notion de l'aliénation. Celle-ci constitue l'élément moteur de la philosophie hégélienne. Mais, au lieu de s'inscrire dans le cadre de ce drame spéculatif qu'est la conquête de l'esprit, comme le divorce qui s'est établi entre l'esprit et la réalité, entre le sujet spirituel et l'objet matériel dont il s'est aliéné et qu'il veut r […] Lire la suite
FREUDO-MARXISME
Par l'expression « freudo-marxisme », on désigne les diverses tentatives de concilier les découvertes psychanalytiques et le marxisme. À la psychanalyse, qui proposait une théorie de l'âme, une méthode et une technique de soin dans le but de soustraire l'homme à son aliénation, conséquence des « ratés » de son histoire personnelle, le marxisme apportait une analyse des processus d'aliénation soc […] Lire la suite
HEGEL GEORG WILHELM FRIEDRICH
Dans le chapitre « Une pensée en mouvement » : […] La vue plus ou moins précise de la dialectique que Hegel avait acquise dans sa jeunesse s'est peu à peu assurée, grâce aux enseignements qu'il tirait de son expérience de la vie sociale, religieuse et politique. Il a éprouvé, semble-t-il, un grand étonnement devant une réalité d'abord globalement incompréhensible, et une vive indignation devant cette incompréhension elle-même. Au Stift de Tübingen […] Lire la suite
Voir aussi
Les derniers événements
États-Unis. L'agresseur du président Ronald Reagan déclaré non coupable. 21 juin 1982
Le jury d'un tribunal de Washington juge John Hinckley, auteur de l'attentat du 30 mars 1981 contre le président Reagan, « non coupable » pour raison d'« aliénation mentale ». Après cinquante jours passés dans un hôpital psychiatrique, il peut être libéré s'il ne présente pas de danger « pour lui-même ou pour d'autres personnes ». […] Lire la suite
Pour citer l’article
Paul RICŒUR, « ALIÉNATION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 janvier 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/alienation/