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FICTION

De même que le terme « poésie » est forgé sur le grec poïein, « fabriquer », celui de « fiction » vient du latin fingere, « façonner » (et par extension « feindre », « inventer »). Tous deux renvoient à un faire, comme le mot français art, qui signifie d'abord le métier : l'artiste est un artisan, le fabricant d'une œuvre, mot dont l'origine latine (opera, le verbe operare) évoque l'acte d'« accomplir », de « réaliser ». Cette terminologie originelle renvoie toujours l'œuvre d'art à son essence d'artefact, d'artifice : en ce sens, c'est-à-dire par opposition aux œuvres de la nature, elle est nécessairement « fiction ». Cette acception très large se retrouve dans la théorie littéraire : la narratologie se donne comme une théorie générale du récit, entendu comme construction formelle. D'un tel point de vue, il n'y a pas lieu de distinguer entre récits fictifs et récits véridiques : de fait, la distinction n'opère que si l'on se pose la question du « dehors » du récit, de ce à quoi il renvoie (son référent). Or l'approche formaliste se caractérise justement par la clôture qu'elle opère, ne considérant l'œuvre que du « dedans ».

En quel sens l'activité artistique relève-t-elle du faire ? La réflexion d'Aristote sur une Poétique (env. 340 av. J.-C.) marquait bien la différence de son objet à la fois avec celui des historiens, qui produisent ce que nous venons d'appeler récit véridique (l'histoire au sens d'historia), et avec l'éloquence, la pratique du discours dans la vie réelle, objet d'une autre discipline et d'un art particulier, la rhétorique. L'art « poïétique » (celui, pour Aristote, du poète et du dramaturge) consiste à mettre en intrigue, à composer une histoire – le grec emploie cette fois le terme muthos. La supériorité de l'artiste sur l'historien (du « poète », au sens qu'a encore le mot dans le français classique et que conserve l'allemand Dichter), c'est de s'affranchir de l'obligation de véridicité, pour exprimer le « général » et non plus le « particulier » (Poétique, 1451 b). Le travail d'« imitation » (mimèsis) de la réalité, sur la scène ou dans la narration poétique, vise donc tout autre chose que la simple reproduction. Aristote le juge « plus noble et plus philosophique que l'histoire[historia] » : c'est une réhabilitation des poètes, contre l'accusation platonicienne de ne produire que de purs simulacres, des apparences inutiles et trompeuses.

Ce qu'on appelle parfois l'aristotélisme français, l'élaboration, au xviie siècle, d'une « doctrine classique » du théâtre, aboutit à des règles supposées garantir que l'œuvre soit reçue comme vraisemblable, dans cet espace propre au drame qui ne serait ni celui du vrai ni celui du faux – ainsi du respect des trois unités, de temps, de lieu et d'action. L'examen de la fameuse « querelle du Cid » (1637) montre bien que ces règles – qui ne se trouvent pas directement dans la Poétique, mais ont été élaborées par ses commentateurs modernes – ne se limitent pas à la composition : on ne reproche pas seulement à Pierre Corneille la richesse de l'intrigue, supposée trop abondante pour tenir dans la durée qu'il s'est fixée, mais aussi l'inconvenance du comportement de son héroïne, Chimène, prête à épouser le meurtrier de son père. Contre cette conception qui tend à subordonner l'œuvre d'art à la morale et à l'utilité sociale, les écrivains ultérieurs, et particulièrement les romanciers, pourront faire retour au principe de vérité, censé les affranchir d'une esthétique devenue sclérosante. Cette tendance réaliste, hostile à la fiction idéalisante, dénonce l'invraisemblable[...]

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Pour citer cet article

François TRÉMOLIÈRES. FICTION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CHARYN JEROME (1937- )

    • Écrit par Yves-Charles GRANDJEAT
    • 1 148 mots
    ...grouillantes de sous-intrigues, multipliant les revirements. La question de la vérité et celle du pouvoir y sont centrales, mais sans n’être jamais résolues. Dans l’univers fictionnel de Charyn, rien ne se stabilise définitivement. Ses récits mettent en jeu des luttes de territoire – mais celles-ci sont toujours...
  • CULTURE NUMÉRIQUE

    • Écrit par Jean-Yves MOLLIER
    • 4 509 mots
    • 1 média
    ...naissance d'œuvres inconnues jusqu'ici qui mixeront le texte, l'image, le son, pourquoi pas demain le relief et, plus tard, le toucher, voire l'odorat. Ces fictions d'un genre nouveau, qu'il faudra nommer un jour comme on l'a fait pour l'épopée, le drame, la poésie, le roman, la bande dessinée ou le manga,...
  • FABLE, notion de

    • Écrit par Christophe TRIAU
    • 1 093 mots

    « Fable », issu du latin fabula, est le terme que le théâtre utilise traditionnellement pour désigner l'histoire racontée – là où le grec, et la Poétique (env. 340 av. J.-C.) d'Aristote tout particulièrement, emploie le terme muthos. Selon Aristote, la fable est le plus important...

  • AUTOBIOGRAPHIE, notion d'

    • Écrit par Alain BRUNN
    • 1 440 mots

    Auto-bio-graphie : écriture de sa propre vie, écriture par soi de sa vie. Le terme est double : au sens large, est autobiographique toute écriture intime ; au sens étroit, l'autobiographie, distincte des Mémoires, du journal intime ou de l'autoportrait, est un genre parmi d'autres de...

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