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AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037)

La métaphysique

Pour le très bref aperçu qui s'impose ici, le centre de perspective à choisir est la théorie avicennienne de la connaissance, solidaire de toute sa métaphysique, parce que cette noétique se présente comme l'aspect gnoséologique d'une théorie des Intelligences qui est une angélologie, et que cette angélologie fonde la cosmologie, en même temps qu'elle situe l'anthropologie.

L'exister : un accident nécessaire

La métaphysique d'Avicenne est une métaphysique des essences, et cette métaphysique des essences subsistera dans la tradition de l'avicennisme iranien jusqu'à la grande réforme opérée par Mollā Sādrā Shīrāzī (1640), personnalité dominante de l'école d'Ispahan, qui substituera une métaphysique de l'exister à cette métaphysique des essences. L' essence, ou la nature, ou la quiddité, est ce qu'elle est, absolument, inconditionnellement. Cela veut dire qu'elle est neutre et indifférente à l'égard de la condition négative qui doit en maintenir à l'écart tout ce qui peut l'empêcher d' être une idée générale, un des « universaux », de même qu'elle est neutre et indifférente à l'égard de la condition positive déterminant ce qu'il faut lui ajouter pour qu'elle soit réalisée dans un individu particulier. Or, parmi ces essences qui, de par elles-mêmes, n'impliquent ni n'excluent l'universalité ni la singularité et qui, indifférentes et supérieures à l'une et à l'autre, sont l'objet propre de la métaphysique, il en est une privilégiée. De par la nécessité de son contenu propre, chaque essence est ce qu'elle est, c'est-à-dire est quelque chose. Qu'en est-il de ce quelque chose, de cet être quelque chose ? La question est telle que, d'emblée, la notion d'être se dédouble en être nécessaire et être possible. Possible est chaque essence, ce quelque chose qu'elle est, mais qui n'existera jamais si quelque cause ne la rend nécessaire. L'exister est alors un accident se surajoutant à l'essence, mais un accident « nécessaire », dès lors que la cause totale en étant donnée, cette cause rend nécessaire cette existence.

La Première Intelligence

L'univers avicennien ne comporte pas ce que nous appelons la « contingence », dès lors que le possible est fait existant. Si quelque possible est actualisé dans l'être, c'est que son existence est rendue nécessaire en raison de sa cause, laquelle à son tour est nécessitée par sa propre cause. Il s'ensuit que l'idée orthodoxe de «  création » subit ici une altération radicale. Il ne peut s'agir de quelque chose comme d'un coup d'État survenu en la Volonté divine dans la « prééternité » ; c'est une nécessité intradivine qui conduit de l'Être pur au premier être fait existant. La Création consiste dans l'acte même de la pensée divine se pensant elle-même, et cette connaissance que l'Être divin a éternellement de soi-même n'est autre que la Première Émanation, le Premier Nους ou Première Intelligence (‘Aqlawwal). Cet effet initial, nécessaire et unique, de l'énergie créatrice identique à la pensée divine, assure la médiation de l'Un au Multiple, en posant soi-même le principe auquel il satisfait : « De l'Un ne peut procéder que l'Un ».

À partir de cette Première Intelligence médiatrice, la pluralité de l'être va procéder d'une série d'actes de pensée ou de contemplation qui font en quelque sorte de la cosmologie une phénoménologie de la conscience angélique. La Première Intelligence contemple son Principe, et de cet acte de penser procède la Deuxième Intelligence. Elle se contemple elle-même en tant que sa relation avec son Principe rend nécessaire[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)

Classification

Pour citer cet article

Henry CORBIN. AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Avicenne - crédits : AKG-images

Avicenne

Autres références

  • CANON (Avicenne)

    • Écrit par Danielle JACQUART
    • 221 mots

    Né à Boukhara en 980, mort à Hamadan en 1037, Ibn Sīnā ou Avicenne est le modèle du philosophe médiéval, expert dans tous les domaines du savoir. Ajoutant à ses talents la qualité de médecin, il s'efforça d'embrasser dans un vaste ouvrage, auquel le titre de Canon de la médecine...

  • LIVRE DE LA GUÉRISON, Avicenne - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 615 mots
    • 1 média

    L'œuvre considérable du savant, philosophe et mystique persan Avicenne (Ibn Sīnā, 980-1037), comme celle de son maître Aristote, nous est parvenue incomplète. Ainsi, on ne connaît qu'un fragment de sa Philosophie orientale, qui en fut considérée un temps comme l'expression « ésotérique...

  • ANALOGIE

    • Écrit par Pierre DELATTRE, Universalis, Alain de LIBERA
    • 10 427 mots
    ...constitution du concept médiéval de l'analogie se situe dans les années 1150, avec la traduction et la mise en circulation des textes philosophiques d' Avicenne (Metaphysica, i, 5 ; iv, 1) et d'al-Ghazālī (Logica, iii), qui, dans le cadre de la distinction porphyrienne des univoca (synonymes),...
  • ARABE (MONDE) - Littérature

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Hachem FODA, André MIQUEL, Charles PELLAT, Hammadi SAMMOUD, Élisabeth VAUTHIER
    • 29 245 mots
    • 2 médias
    ...) a été malgré tout possible, c'est uniquement à la faveur de cette jonction – illicite d'un point de vue aristotélicien – opérée par Fārābī puis par Avicenne entre le rhétorique et le poétique. Nous aurons en effet remarqué qu'Avicenne considère la poétique comme une branche de la logique. C'est la...
  • ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 4 951 mots
    • 1 média
    ...laisse pas d'orienter et de finaliser la présentation des matières ou l'articulation des raisons. La première grille est fournie par les paraphrases d' Avicenne, qui, par leur subtile immersion du texte commenté dans le commentaire, inspirent aussi bien l'avicennisme augustinisant d'un Roger...
  • AVICENNISME LATIN

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 6 601 mots

    L'influence d'Avicenne sur la pensée médiévale est telle qu'il est difficile de donner un sens à l'expression d'avicennisme latin sans en réduire en même temps la portée. De fait, comment ramener à l'unité d'un courant isolable la présence multiple et efficace d'une...

  • Afficher les 9 références

Voir aussi