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ARGUMENTATION

Théorie de l'argumentation

L'étude détaillée des arguments nécessite tout un traité. Mentionnons, parmi les plus habituels, les arguments par l'exemple, par analogie, par les conséquences, par le modèle, a pari, a fortiori, e contrario, ainsi que l'argument d'autorité. Les figures de la rhétorique classique, loin de se réduire à de simples ornements, ne sont, bien souvent, que des arguments en raccourci : on ne comprend le rôle des métaphores qu'en les rapprochant des arguments par analogie.

Une argumentation, pour être efficace, doit être organisée. Il ne suffit pas d'aligner les arguments les uns derrière les autres, et cela indéfiniment. Il faut savoir se limiter. Chaque discours aura une ampleur déterminée, variable selon les circonstances. Les arguments seront présentés dans un ordre qui leur donnera le plus d'efficacité, car, au fur et à mesure que le discours se déroule, l'auditoire se transforme sous son influence, et un argument peut être sans effet sur un auditoire qui n'aurait pas subi cette transformation.

On connaît toutes les techniques de conditionnement de l'auditoire, qui utilisent les procédés les plus variés pour influer sur le comportement. Une théorie de l'argumentation qui met l'accent sur l'argumentation rationnelle, visant à convaincre l'auditoire universel, s'attachera surtout à l'examen des techniques du conditionnement par le discours, dont résulteront des conséquences pour l'ordre des arguments et l'ampleur de l'argumentation.

Malgré l'importance de l'argumentation pour la discussion, la délibération et la décision raisonnable, ou du moins éclairée, la théorie de l'argumentation a été, depuis la fin de la Renaissance, de plus en plus négligée, sous l'influence de tendances rationalistes, empiristes et positivistes. Mais, sans une telle théorie, l'élaboration d'une méthodologie des sciences humaines, du droit et de la philosophie se révèle impossible.

Selon une tendance, inspirée de Kant, qui date du milieu du xixe siècle, et qui a prévalu dans la première moitié du xxe, la logique a été de plus en plus identifiée avec la logique formelle ; la logique aurait pour objet l'étude du raisonnement formellement correct.

Dans cette perspective, l'argumentation relèverait de la psychologie plutôt que de la logique, les raisons visant à persuader et à convaincre étant relatives au caractère, aux intérêts, émotions et passions des personnes sur lesquelles on veut agir par le discours. Et, même dans cette perspective, l'argumentation se bornerait à masquer par une rationalisation les tendances profondes (Schopenhauer) et les résidus dont elle serait une dérivation (Pareto).

S'il en était ainsi, non seulement les raisonnements qui viennent motiver des décisions, mais aussi l'ensemble des sciences humaines, du droit et surtout de la philosophie, se verraient dénier toute importance sociale et culturelle. Toute notre culture, dans la mesure où elle consiste en affirmations qui ne sont ni tautologiques ni contrôlables par l'expérience, ne serait qu'une œuvre irrationnelle, pouvant faire illusion grâce à l'emploi de termes vagues, qui favorisent l'élaboration de théories arbitraires et non scientifiques. C'est d'ailleurs la prétention des formes modernes de positivisme qui aboutissent à un scepticisme dans le domaine des valeurs.

Si, en revanche, on se refuse à ne voir dans la culture qu'une expression irrationnelle des intérêts et des passions, si l'on reconnaît la possibilité d'une discussion raisonnable dans le domaine des valeurs, sans la limiter à l'étude des moyens les plus appropriés à la réalisation de fins égoïstes, on est obligé d'admettre que nos évaluations et nos justifications méritent d'être prises au sérieux et examinées de façon critique.[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de l'Université libre de Bruxelles, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant de l'Institut de France

Classification

Pour citer cet article

Chaïm PERELMAN. ARGUMENTATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots

    Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots

    Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...

  • APOLOGUE, genre littéraire

    • Écrit par Jean MARMIER
    • 441 mots

    La narration d'une anecdote à personnages animaux, ou parfois végétaux, agissant et parlant comme les humains et, le cas échéant, en leur compagnie, a toujours servi à illustrer des leçons de prudence ou de morale pour les hommes. Le genre, préexistant à la notion de genre, plonge ses racines...

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par Filippo D' ANGELO
    • 1 332 mots

    On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait le...

  • DÉBAT, genre littéraire

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 347 mots

    Le terme générique « débat » correspond à une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du xiie siècle : d'abord en latin, sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire ; il est appelé tenson ou jocpartit en...

  • DESCRIPTION, notion de

    • Écrit par Elsa MARPEAU
    • 985 mots

    La description permet de donner à voir en imagination, grâce au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du récit. Sa finalité représentative semble ainsi l'opposer aux visées narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction théorique est plus complexe dans la pratique,...

  • DIALOGUE

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Robert MISRAHI
    • 4 421 mots
    • 1 média

    L'entrée en dialogue paraît d'autant plus désirable que le partenaire est plus différent ou plus lointain. Le dialogue répond à une préoccupation éthique – il serait l'antiviolence par excellence – et à un souci politique : comment améliorer la circulation de l'information de manière...

  • DIDACTIQUE POÉSIE

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 531 mots

    Poésie qui dispense un enseignement (philosophique, moral, scientifique, technique, etc.) en le parant des agréments propres à la poésie. Le vers, de par ses vertus mnémoniques, a été utilisé dès les origines pour fixer une leçon (oracles, sentences...) ; aux débuts de la littérature grecque, il...

  • ÉPOPÉE

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER, Maria COUROUCLI, Jocelyne FERNANDEZ, Pierre-Sylvain FILLIOZAT, Altan GOKALP, Roberte Nicole HAMAYON, François MACÉ, Nicole REVEL, Christiane SEYDOU
    • 11 781 mots
    • 7 médias

    Proche du mythe, l'épopée chante l'histoire d'une tradition, un complexe de représentations sociales, politiques, religieuses, un code moral, une esthétique. À travers le récit des épreuves et des hauts faits d'un héros ou d'une héroïne, elle met en lumière un monde total, une réalité...

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  • LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE, notion de

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  • ILIADE, Homère - Fiche de lecture

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  • CONFESSIONS, Augustin - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 943 mots

    Les Confessions, ouvrage de saint Augustin (354-430) le plus célèbre avec La Cité de Dieu, furent rédigées de 397 à 401. L'auteur s'adresse directement, dans un dialogue intime, à ce Dieu qu'il avait tant cherché « en labeur et fièvre » ailleurs que là où le Dieu d'amour l'attendait,...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet, il...

  • DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 763 mots

    Le Dialogue des orateurs (Dialogus de Oratoribus, vers 105 apr. J.-C.), dont on considère aujourd'hui que l'auteur est très probablement Tacite (vers 55-vers 120), fait délibérément écho, à un siècle et demi de distance, au grand traité latin de Cicéron, le De Oratore : même sujet...

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