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INFLUENCE

Dans le langage scientifique, une sorte de coexistence s'instaure fréquemment entre deux niveaux de conceptualisation, l'un assez proche de la langue courante, où le terme est employé dans un sens générique très large et désigne plutôt une notion, l'autre plus strictement scientifique, où l'expression devient spécifique et précise et où l'on a affaire à un véritable concept. Tel est justement le cas du mot influence, dont l'étude est compliquée par cette dualité de significations et, du même coup, de perspectives et de références.

Certains auteurs en effet ne s'éloignent guère du sens usuel « d'action exercée par une personne sur une autre personne », pour adopter à quelque chose près la formulation de Littré : l'accent est mis sur l'efficacité de cette action, et non pas sur la manière dont le résultat est acquis, c'est-à-dire sur les mécanismes particuliers au jeu de l'influence.

D'autres spécialistes traitent de l'influence dans un contexte de communication et insistent sur ce qui constitue à la fois la base de l'influence et les raisons de son succès, à savoir la persuasion ; l'influence devient alors un concept qui a gagné en vigueur ce qu'il a perdu en extension : c'est, à notre sens, le signe d'un incontestable progrès dans l'élaboration d'un langage scientifique.

On ne saurait, cependant, aborder le thème de l'influence sans souligner le mérite de Gabriel Tarde et sans rappeler l'importance de sa contribution en ce domaine, d'autant plus que ses analyses participent de l'ambiguïté signalée ci-dessus et en fournissent une excellente illustration. D'une part, dans sa théorie générale de la société, Tarde parle tour à tour de suggestion, d'hypnotisme, de magnétisation, pour caractériser le rôle et l'efficacité arbitrairement dévolus à l'imitation ; la notion d'influence n'est pas nettement et fermement définie, encore qu'elle soit implicite tout au long de l'argumentation. D'autre part, dans ses essais particuliers, notamment dans l'étude consacrée à la conversation, Tarde se montre attentif à l'exercice d'une influence essentiellement persuasive par laquelle s'étend et s'approfondit la « conscience d'espèce » (F. H. Giddings) et qui détermine ainsi très largement les vicissitudes de l'opinion. Par cette sensibilité aux processus, plus sans doute que par la parenté confuse entre la notion d'imitation et celle d'influence, Gabriel Tarde a ouvert une voie féconde.

L'action efficace sur autrui

Influence, pouvoir et cause

Pour donner une idée du champ attribué à l'influence, dans son acception la plus large, on se reportera à l'étude bien connue de Robert K. Merton sur deux types d'influence, local et cosmopolite. Le sociologue américain y insiste, en conclusion, sur la nécessité de distinguer entre les multiples formes d'influence, comme la coercition, la domination, le conditionnement et ce qu'il appelle la clarification. Le regroupement de ces catégories hétéroclites fait de l'influence une notion extrêmement générale et imprécise, dont il devient difficile de savoir dans quel sens exact elle est employée.

Pour remédier à ce manque de netteté, certains auteurs, et plus particulièrement James G. March et Herbert Simon, s'efforcèrent de replacer le phénomène de l'influence dans le contexte d'une méthodologie élaborée ; c'est par rapport au modèle de la relation causale que l'on chercha à épurer la notion. Les relations d'influence furent considérées comme des cas particuliers ou un sous-ensemble des relations causales, dans la mesure où l'effet produit se manifeste à travers le comportement d'une personne.

Cet effort d'approfondissement[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

François CHAZEL. INFLUENCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACTION COLLECTIVE

    • Écrit par Éric LETONTURIER
    • 1 466 mots
    ...constitution homogène des publics par la réponse automatique et simultanée d'individus exposés, tels les lecteurs de journaux, à des stimuli identiques. En voyant dans l'influence davantage une interaction qu'une impression , Herbert Blumer (Symbolic Interactionism, 1969) délivre l'individu...
  • BERELSON BERNARD R. (1912-1979)

    • Écrit par Daniel DERIVRY
    • 366 mots

    Sociologue américain, Bernard Berelson s'est essentiellement consacré à l'étude des comportements, notamment du comportement électoral. Il a en effet participé à la composition des deux grands ouvrages classiques de la sociologie électorale américaine, The People's Choice : How...

  • COMMUNICATION - Communication de masse

    • Écrit par Olivier BURGELIN
    • 5 303 mots
    • 1 média
    ...les équipes du Bureau of Applied Social Research de l'université Columbia (New York), animées en particulier par Lazarsfeld, et d'où il ressort que l' influence des mass media n'est normalement effective que lorsqu'elle est prise en relais par les réseaux de communication et d'influence personnelle existant...
  • CONFLITS SOCIAUX

    • Écrit par Alain TOURAINE
    • 15 439 mots
    • 8 médias
    ...vient d'évoquer, et qui ont le grand mérite de réintroduire au cœur des organisations l'existence du conflit, recèlent cependant une certaine ambiguïté ; l'usage qui y est fait du terme « pouvoir », pratiquement confondu avec celui d'influence, le montre bien. La capacité d'un acteur de modifier le comportement...
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Voir aussi