Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VAN GOGH VINCENT (1853-1890)

Arles, Saint-Rémy et Auvers : le grand Van Gogh (1888-1890)

La Ronde des prisonniers, Van Gogh - crédits : DeAgostini/ Getty Images

La Ronde des prisonniers, Van Gogh

Si l'annonce du prochain mariage de Théo – ressenti comme une sorte d'abandon – semble bien la raison profonde qui décida Van Gogh à quitter Paris, d'autres motivations, d'ordre pictural celles-là, plaidaient depuis quelque temps déjà en faveur de cet éloignement : les dernières œuvres de la période parisienne, tels Les Livres jaunes (automne 1887 ; coll. part., Suisse) ou encore l'Autoportrait au chevalet (début 1888 ; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam), montrent en effet que l'artiste commençait à prendre ses distances vis-à-vis du système impressionniste, trop allusif à son goût, pour reconquérir l'unité structurelle de l'image et se concentrer sur les virtualités expressives et symboliques de la forme et de la couleur.

Le séjour à Arles (févr. 1888-mai 1889) est pour Vincent l'occasion d'une découverte essentielle : celle de l'éblouissement solaire du Midi, qui, en imposant à sa palette une plus grande intensité de tons et en lui suggérant des accords chromatiques d'une puissance inédite, va transmuer toutes les données de son art. Même le graphisme de ses dessins, parvenu à une maîtrise supérieure, trouve alors des accents nouveaux pour transcrire la vibration colorée et lumineuse des apparences sensibles. Confondue, pour ainsi dire, avec la lumière, la couleur, qui est aussi matière, confère aux êtres et aux choses un surcroît de présence et de réalité, en même temps qu'elle met en évidence leur dimension spirituelle : à l'harmonie souveraine du jaune et du bleu dans La Plaine de la Crau (juin 1888 ; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam), image de prospérité et de quiétude, véritable chant apollinien d'une rigueur toute classique, aux accords stridents mais tempérés par de grandes plages de noir et de vert de L'Arlésienne (nov. 1888 ; Metropolitan Museum, New York), on opposera par exemple la fulgurance des tons dans Terrasse de café, la nuit (sept. 1888 ; musée Kröller-Müller, Otterlo), où s'expriment un délire et une angoisse poignants, voire l'ivresse chaotique des rouges et des verts dans Le Café de nuit (sept. 1888 ; Yale University Art Gallery, New Haven). Cette fascination de la couleur, que d'aucuns ont pu interpréter comme une sorte de défi suicidaire lancé par le peintre à l'astre qui illumine et brûle, culmine au cœur de l'été de 1888, dans les différentes versions des Tournesols (Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam ; National Gallery, Londres, etc.), où la « haute note jaune », si caractéristique de la production arlésienne, mobilise et embrase tout le champ du tableau. L'exaltation et la tension permanentes qu'impliquent une telle démarche créatrice et une telle urgence de peindre devaient fatalement déboucher sur une crise : le 24 décembre 1888, à l'issue d'une violente querelle avec Gauguin, venu le rejoindre au début de l'automne, Van Gogh tente de tuer son compagnon, puis, pour s'auto-punir, se mutile l'oreille gauche. Outre qu'il fait apparaître au grand jour la différence fondamentale de tempérament qui sépare les deux hommes, ce conflit entérine pour Vincent la fin d'un vieux rêve fusionnel de communauté artistique, et le renvoie du même coup à sa solitude.

La Nuit étoilée, V. Van Gogh - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Nuit étoilée, V. Van Gogh

En mars 1889, après une période de répit durant laquelle il peint entre autres l'Autoportrait à l'oreille coupée (janv. 1889 ; Courtauld Institute, Londres), une pétition des habitants d'Arles entraîne son internement à l'Hôtel-Dieu. Deux mois plus tard, hanté par l'idée du suicide, mais pleinement conscient du mal qui le ronge, il prend lui-même la décision de se faire soigner à l'hospice de Saint-Rémy-de-Provence. D'accès de dépression en phases de rémission et d'activité intense, son style connaît de nouveau des modifications[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Robert FOHR. VAN GOGH VINCENT (1853-1890) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Autoportrait</em>, V. Van Gogh - crédits : Courtesy National Gallery of Art, Washington

Autoportrait, V. Van Gogh

Portrait de l'artiste, Van Gogh - crédits : Imagno/ Getty Images

Portrait de l'artiste, Van Gogh

La Nuit étoilée, V. Van Gogh - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Nuit étoilée, V. Van Gogh

Autres références

  • MILLET / VAN GOGH (exposition)

    • Écrit par Pierre VAISSE
    • 926 mots

    Aussi instructive que riche en œuvres de haute qualité, l'exposition Millet/Van Gogh, présentée au musée d'Orsay du 14 septembre 1998 au 3 janvier 1999, aurait pu, a priori, sembler dépourvue d'intérêt véritable. Quiconque connaît tant soit peu la personnalité de Van Gogh sait en effet qu'il...

  • LA NUIT ÉTOILÉE (V. Van Gogh)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 217 mots
    • 1 média

    En peignant, en septembre 1888, La Nuit étoilée (musée d'Orsay, Paris), avec le Rhône à l'avant-plan, Vincent Van Gogh (1858-1890) poursuivait, comme il l'écrivit à son frère Théo, un double objectif : démontrer qu'il fallait peindre les tableaux de nuit sur le motif, et non dans...

  • VAN GOGH À AUVERS-SUR-OISE. LES DERNIERS MOIS (exposition)

    • Écrit par Robert FOHR
    • 1 075 mots
    • 2 médias

    Montée au musée d’Orsay, l’exposition Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois (3 octobre 2023-4 février 2024) – dont Nienke Bakker et Emmanuel Coquery sont les commissaires – a été réalisée en collaboration avec le Van Gogh Museum d’Amsterdam qui l’avait présentée précédemment. Elle...

  • VAN GOGH ET GAUGUIN (expositions)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 920 mots

    Les neuf semaines passées ensemble par Paul Gauguin et Vincent Van Gogh à Arles, entre la fin octobre et la fin décembre 1888, ont toujours été considérées comme un des épisodes majeurs du post-impressionnisme : d'abord par l'union de deux de ses personnalités les plus marquantes, à un moment crucial,...

  • VINCENT VAN GOGH : D'ARLES À AUVERS - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 534 mots

    20 février 1888 Van Gogh arrive à Arles sous la neige où il désire installer un « atelier du Midi ». Il commence à peindre dès le 22 février (une vieille Arlésienne, un paysage sous la neige, la boutique d'un boucher). Il loge à l'hôtel, louant à partir de mai quatre chambres dans « la Maison jaune...

  • BIOGRAPHIES D'ARTISTES

    • Écrit par Martine VASSELIN
    • 2 389 mots

    La vie d'artiste est un genre littéraire d'une grande ancienneté, abondamment illustré depuis la Renaissance. On en fait remonter l'origine aux commentateurs de Dante qui ont élucidé et développé la mention lapidaire des noms de Cimabue et de Giotto insérée dans la Divine...

  • BRION GUSTAVE (1824-1877)

    • Écrit par Ségolène LE MEN
    • 827 mots

    Comme Schuler (qui fut d'abord un illustrateur), Brion est un peintre de l'Alsace, dont l'œuvre, après 1870, touche le public du Salon par la fibre patriotique des « provinces perdues ». Né à Rothau dans les Vosges dans une famille où l'on se faisait volontiers pasteur, il était le petit-neveu de...

  • CHRISTIE'S & SOTHEBY'S

    • Écrit par Alain QUEMIN
    • 2 851 mots
    ...et a remporté à cette occasion des prix records encore inégalés à ce jour dans les deux principaux domaines du marché de l'art (peinture et mobilier). En 1990, la société a vendu à New York le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh pour 82,5 millions de dollars, le prix le plus élevé jamais atteint...
  • DERAIN ANDRÉ (1880-1954)

    • Écrit par Michel HOOG
    • 1 266 mots
    ...ils travaillaient ensemble à l'académie Carrière (1898-1899), ami de Vlaminck depuis 1900 (il s'agit d'ailleurs d'une amitié orageuse et à éclipses), jusqu'en 1904 il cherche sa voie à travers des influences nombreuses et contradictoires dont la plus puissante est celle de Van Gogh. On connaît l'épisode,...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi