Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GAUGUIN PAUL (1848-1903)

Peintre maudit et martyr, Gauguin fut consacré comme l'initiateur de la peinture moderne à l'exposition du centenaire à l'Orangerie en 1949. Une partie de l'œuvre, les sculptures et les céramiques, reste encore dans le cône d'ombre projeté par le rayonnement du peintre. La personnalité de Gauguin renforce le message de ses créations, car il fut l'un de ces artistes dont la biographie ne se confond pas, pour l'essentiel, avec la suite de ses œuvres. Sa vie, comme celle de Rimbaud, fut une aventure. Lié d'abord à l'impressionnisme, puis au mouvement symboliste, il devait dénoncer le premier au nom de ce que Kandinsky appellera le principe spirituel de l'art, et se prémunir contre les dangers de déviationnisme littéraire inhérents au second, au nom de la parfaite coïncidence du signifiant et du signifié dans l'œuvre plastique. L'exotisme de Gauguin exprime la quête douloureuse qu'il a poursuivie pour redécouvrir la valeur existentielle des symboles magiques et religieux, liens d'harmonie entre le temps pleinement vécu par l'homme et le mystère d'une destinée qui s'inscrit dans l'intemporel. Son œuvre ajoute à la documentation de l'anthropologue et de l'historien des religions comparées. Comme Tolstoï et Van Gogh, Gauguin a senti jusqu'à l'angoisse la faille qui sépare le christianisme de l'homme actuel et il a cherché, après Victor Hugo, une consolation sans dogme, un nouvel ordre où tout le mal cesserait de venir « de la forme des dieux ».

Les fugues vers les sources

Paul Gauguin est reparti sans cesse au cours de son existence vers le paradis de la nature sauvage, où tout est innocence et liberté. Cette remontée vers ce qu'il possédait en amont, et que ses premiers souvenirs lui avaient fait entrevoir, c'est d'abord dans son sang même qu'il la réalise : au-delà de l'image de sa mère, morte en 1867, il rejoint l'atavisme de sa grand-mère, Flora Tristan, aventurière et bas-bleu socialiste, qui le reliait à un arrière-grand-oncle vice-roi du Pérou et aux conquistadores de l'Amérique du Sud, dont le peintre avait le type physique. Eugène Henri Paul Gauguin était né à Paris mais il quitta tout jeune la France. À Lima, il parla espagnol de deux à sept ans. Il revint en France comme on sort d'un rêve. À neuf ans, il quitte Orléans pour une première escapade dans la forêt de Bondy, pèlerin portant déjà bâton et paquet sur l'épaule. Après ses études et jusqu'en 1871, il passa plus de trois ans à bourlinguer dans la marine de l'État. Puis il connut dix années de bonheur stable, marié avec Mette Gad la Danoise et gagnant largement sa vie à la banque Bertin. En 1883, il casse le fil de sa chance, démissionne de la banque, provoquant ainsi le destin qui allait le séparer de sa femme, l'isoler de ses enfants et l'enfoncer, jusqu'à sa mort survenue dans les îles Marquises, dans les difficultés matérielles, la misère physique et la déréliction morale.

Gauguin a commencé à dessiner en 1873, à peindre avant 1876, et, dès 1877, à sculpter, d'abord dans un matériau froid et classique, le marbre. Ses premiers tableaux sont d'un autodidacte formé au contact de la collection de son tuteur, Gustave Arosa, et du frère de celui-ci, Achille, riche en Delacroix, Courbet, Corot, Jongkind et Pissarro. Camille Pissarro allait devenir le maître de la première manière de Gauguin, qui se rattache à l'école des impressionnistes, avec lesquels il exposa de 1879 à 1885. Avant son premier séjour en Bretagne (1886), la fuite avec son ami le peintre Charles Laval vers Panama (avril 1887) et le bref refuge à la Martinique, Gauguin sent s'éveiller en lui une vocation de céramiste, à la manière d'un Bernard Palissy décadent et barbare. Il produisit en quelques mois cinquante-cinq vases. Il[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite, université de Montréal, Kress Fellow, Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada

Classification

Pour citer cet article

Philippe VERDIER. GAUGUIN PAUL (1848-1903) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Bretonnes et veau</it>, P. Gauguin - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Bretonnes et veau, P. Gauguin

Vision après le sermon, P. Gauguin - crédits : AKG-images

Vision après le sermon, P. Gauguin

Autoportrait, Paul Gauguin - crédits : AKG-images

Autoportrait, Paul Gauguin

Autres références

  • GAUGUIN ET LE "PRIMITIVISME" - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 885 mots

    1886 Gauguin vient s'établir en Bretagne, à Pont-Aven, où il séjourne de juillet à octobre, en quête d'un contact avec une civilisation encore peu marquée par le monde moderne, dans laquelle il veut refonder sa peinture et sa sculpture. Lors de son second séjour breton en 1888, il écrira : « J'aime...

  • VAN GOGH ET GAUGUIN (expositions)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 920 mots

    Les neuf semaines passées ensemble par Paul Gauguin et Vincent Van Gogh à Arles, entre la fin octobre et la fin décembre 1888, ont toujours été considérées comme un des épisodes majeurs du post-impressionnisme : d'abord par l'union de deux de ses personnalités les plus marquantes, à un moment crucial,...

  • LA VISION APRÈS LE SERMON OU LA LUTTE DE JACOB AVEC L'ANGE (P. Gauguin)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 200 mots
    • 1 média

    La Vision après le sermon (National Gallery of Scotland, Édimbourg), que Paul Gauguin (1848-1903) peignit durant l'été de 1888 lors de son séjour à Pont-Aven, n'est pas à proprement parler une œuvre « primitiviste » : c'est l'influence japonaise qui y prédomine, en particulier celle d'Hirochige...

  • AUTOPORTRAIT, peinture

    • Écrit par Robert FOHR
    • 3 573 mots
    • 6 médias
    ...pour mission de révéler les affinités à la fois affectives et esthétiques, c'est la formule du « tableau dans le tableau » qui fonctionne le mieux : P.  Gauguin, Autoportrait avec le portrait d'Émile Bernard, 1888, musée Van Gogh, Amsterdam, et E. Bernard, Autoportrait avec le portrait de Gauguin...
  • BERNARD ÉMILE (1868-1941)

    • Écrit par Jean-Paul BOUILLON
    • 374 mots

    Peintre lillois qui vient à Paris en 1881 et fréquente l'atelier de Cormon où il rencontre Van Gogh et Toulouse-Lautrec. Exclu de l'atelier en 1886, Émile Bernard voyage en Normandie et en Bretagne, fait la connaissance de Schuffenecker, puis, lors de son retour à Pont-Aven en 1888, se lie durablement...

  • ENSEIGNEMENT DE L'ART

    • Écrit par Annie VERGER
    • 16 115 mots
    ...solide, ils déclassent par leur activité l'enseignement traditionnel et produisent du même coup, sans doute à leur insu, le mythe du « créateur incréé ». Gauguin, dans une lettre à son ami Charles Morice, en juillet 1901, résume cette transformation qui inaugure le xxe siècle : « Puvis explique son idée,...
  • IMPRESSIONNISME

    • Écrit par Jean CASSOU
    • 9 484 mots
    • 32 médias
    Ce qu'il y a d'exclusivement sensoriel, matériel chez les impressionnistes, cet art acéphale, choque Gauguin. « La pensée n'y réside pas. » « Ils cherchèrent autour de l'œil, dit-il encore, non au centre mystérieux de la pensée, et de là tombèrent dans des raisons scientifiques. » On ne saurait mieux...
  • Afficher les 11 références

Voir aussi