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TRISTAN ET YSEUT

On réunit sous les noms de Tristan et Yseut des récits qui s'échelonnent de la seconde moitié du xiie siècle au milieu du xvie siècle (vers 1525, Pierre Sala offre un Tristan à François Ier) et qui furent composés en français, mais aussi dans la plupart des langues de l'Europe médiévale. La diffusion de la légende a été précoce : vers 1150, des troubadours comme Bernard de Ventadour ou Raimbaut d'Orange comparent leurs peines d'amour à celles de Tristan l'amador (l'amoureux) qui a tant souffert pour l'amour d'Yseut la blonde. Ils se font ainsi l'écho de ce qu'incarnent dès les premiers récits les amants de Cornouaille : le mythe d'une passion tragique vécue dans la douleur et liée à la mort, que ressuscitera l'opéra de Wagner.

« Conter de Tristan »

La forme la plus ancienne de la légende, ce que Béroul et la critique à sa suite appellent l'estoire, est représentée par la version complète, en moyen haut allemand, d'Eilhart d'Oberg (vers 1170) et le fragment en français de Béroul (4 500 vv., vers 1180). Cette estoire est déjà profondément remaniée dans la version de Thomas d'Angleterre (vers 1170-1175) dont ne subsistent que des fragments (environ 3 300 vv.). Le récit en prose norroise de Frère Robert en donne au début du xiiie siècle une version complète, mais très abrégée. Au tout début du xiiie siècle, le poète allemand Gottfried de Strasbourg retravaille le récit de Thomas dans une tonalité imprégnée de la doctrine courtoise de la fin'amor. L'œuvre est inachevée. La seule version française complète est, au xiiie siècle, l'immense Roman de Tristan en prose qui intègre l'histoire de Tristan dans le cycle arthurien, faisant de lui un chevalier de la Table ronde, rival de Lancelot, quêteur désabusé du saint Graal. C'est par ce best-seller de la littérature médiévale que s'est perpétuée jusqu'au xvie siècle, dans les livres imprimés, l'histoire de Tristan et Yseut, les versions en vers n'ayant été redécouvertes et éditées qu'à partir du xixe siècle. Le roman en prose est à l'origine des versions italiennes (la plus célèbre est la Tavola Ritonda, après 1325) et, au xve siècle, des livres VIII à XII de la somme arthurienne de Thomas Malory, La Mort d'Arthur. En anglais, le poème strophique Sir Tristem (fin xiiie-début xive) est le premier texte médiéval sur Tristan à avoir été édité, en 1804, dans sa forme originale – et abondamment commenté – par Walter Scott.

La matière du Tristan a constitué au Moyen Âge une sorte de laboratoire de l'écriture romanesque. On voit coexister dès le xiie siècle romans et récits brefs en vers. Ces derniers – le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France (vers 1160-1180) et les deux Folies Tristan (fin xiie-début xiiie siècle) – content un « retour » de Tristan auprès d'Yseut, après son exil et son mariage, en Bretagne continentale, avec Yseut aux Blanches Mains. Au xiiie siècle, le Roman de Tristan en prose est l'un des plus beaux témoins de la prose romanesque médiévale. L'histoire de Tristan et Yseut a été également diffusée à partir de supports très divers (enluminures, fresques, sculptures, tapisseries, objets ciselés, gravés, brodés). Les nombreuses citations dont elle a fait l'objet témoignent de l'intérêt jamais démenti pour une image de l'amour qui a fasciné autant qu'elle a suscité, et déjà dans l'œuvre de Chrétien de Troyes (Cligès, Le Chevalier de la charrette, notamment), des phénomènes de rejet.

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Emmanuèle BAUMGARTNER. TRISTAN ET YSEUT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Tristan et Iseult - crédits : AKG-images

Tristan et Iseult

Autres références

  • TRISTAN ET ISEULT (anonyme) - Fiche de lecture

    • Écrit par Florence BRAUNSTEIN
    • 1 104 mots

    Une des particularités de Tristan et Iseult, œuvre fondatrice de la littérature occidentale, est qu'il n'en existe pas un seul texte, mais plusieurs, tous composés au xiie siècle : les versions principales, dont certaines sont très fragmentaires, sont celles de Béroul et Thomas...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...mériter la bienveillance du monde sans compromettre son salut. Vers 1210, Gottfried de Strasbourg semble remettre en cause les fondements de cet idéal dans Tristan. Tout en suivant le poème de Thomas de Bretagne (vers 1180), il y ajoute ses propres idées pour exalter, dans une langue admirable, l'élite restreinte...
  • BÉROUL (apr. 1175)

    • Écrit par Daniel POIRION
    • 332 mots

    Sous le nom de Béroul, donné par le vers 1268, nous est racontée la légende de Tristan dans la plus ancienne version de langue française, ou plus exactement de dialecte normand. Le récit, dont l'action est située en Cornouailles, commence au moment où le roi Marc surprend la conversation de Tristan...

  • CHRÉTIEN DE TROYES (1135 env.-env. 1183)

    • Écrit par Yasmina FOEHR-JANSSENS
    • 1 242 mots
    • 1 média
    ...épouse dans un premier mouvement de prouesse, puis la perd par oubli des armes ou négligence de l'amour, et la reconquiert après une douloureuse errance. Mais cet éloge de l'amour conjugal ne réussit pas à oblitérer le souvenir de la légende de Tristan. L'histoire des amants de Cornouailles, pourtant réprouvée...
  • GOTTFRIED DE STRASBOURG (XIIe-XIIIe s.)

    • Écrit par Denis COUTAGNE
    • 764 mots

    Poète courtois allemand, auteur, en 1210 environ, de Tristan et Isolde. Les éléments biographiques concernant Gottfried de Strasbourg demeurent très pauvres et se réduisent aux suppositions qu'on peut tirer de son long poème, d'ailleurs inachevé et complété ensuite par Ulrich von Turhem et par Heinrich...

  • Afficher les 10 références

Voir aussi