Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STENDHAL (1783-1842)

Le voyage, la passion, l'esthétique

Le voyage, la passion, l'esthétique dominent l'expérience et l'œuvre de Stendhal et constituent comme une ligne brisée, qui le conduit au roman, lequel tend à devenir son mode d'expression préféré. Ces trois notions sont à la fois vécues et écrites plus que pensées, tant il est vrai que, pour la phénoménologie spontanée du romantique, l'expression de l'art prolonge sans perte ni rupture la dimension première de la vitalité en acte, où s'enracinent les valeurs idéales.

La Vie de voyage : c'est le titre d'une nouvelle de Gobineau qui implique que la vie est voyage, ou encore que le voyage représente la vérité de la vie. C'est en ce sens que Stendhal en a fait une pratique romantique, où le contact imprévu et neuf avec une réalité toujours différente révèle la différence toujours renouvelée qui construit le moi et fait de l'existence une suite de présents délivrés de la contrainte et du but à atteindre. Dans le tourisme (Stendhal est un des premiers à reprendre cet anglicisme), deux postulats romantiques – l'être est un vivant sensible, l'être n'est qu'individuel – sont explicités. Mais le voyage de Stendhal est italien d'abord. L'Italie est le lieu où Henri Beyle a découvert le bonheur de vivre ; mais ce bonheur est le propre du Sud, parfaite antithèse du Nord. Celui-ci, protestant, libéral, rationnel, moral et même puritain, industriel et technique, moderne et déjà démocratique, est peu à peu l'objet d'une critique radicale. Le grand Sud, catholique, archaïque, asocial et apolitique, univers de la violence, de la sensualité, de la passion amoureuse, s'épanouit, lui, dans l'esthétique, car il laisse en liberté les puissances du désir et de la vitalité, en même temps qu'il leur interdit toute issue dans l'action pratique ou sociale. L'Italien, heureux-malheureux, est ainsi le plus « physique » des hommes et le plus idéal : il n'existe absolument que dans les régions désintéressées et irréelles des beaux-arts. L'Italie récuse le monde moyen, tout ce qui est maîtrise de la réalité, organisation calculée de la vie et du temps, monopole de la raison et de ses domaines d'application (technique, science, morale). Les antivaleurs pour Stendhal sont le travail, l'argent, la vanité, condition nécessaire de toute société. Tout pays se situe dès lors à l'intérieur de cette dichotomie moderne : nord-sud. L'extrême nord, c'est les États-Unis. Mais le voyage, qu'il soit réel ou mental, se déroule toujours à l'intérieur de l'opposition et en parcourt les deux pôles. Que choisir, au reste ? Stendhal, qui se veut moderne dans le romantisme, est un héritier des pensées critiques du xviiie siècle. Libéral et républicain, positiviste et irréligieux, il est du nord comme du sud.

Seulement, son romantisme moderne refuse la modernité unilatérale. Il pense les contraires, sa « philosophie » implicite repose sur un usage agressif et railleur du paradoxe. Stendhal défend aussi bien l'État minimal du libéralisme que le despotisme génial de Napoléon ou le couple despotisme-anarchie qui caractérise l'Italie. Républicain de conviction, il reste nostalgique des sociétés aristocratiques. Pensant par évidences instantanées et impulsives, il établit sa logique à l'intérieur d'une logique supérieure qui réconcilie vérité et sentiment, raison et plaisir.

Il est donc devenu traditionnel de définir Stendhal par des oppositions intérieures : ironie et passion, conscience et rêverie... Rien de plus vrai, mais il faut ajouter qu'en un certain point s'esquisse une unité, une complétude, proprement romantiques. La passion amoureuse, ou plus profondément l'éros (au sens platonicien), a cette fonction d'unification[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Michel CROUZET. STENDHAL (1783-1842) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Stendhal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stendhal

Autres références

  • LA CHARTREUSE DE PARME, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 993 mots
    • 1 média

    La Chartreuse de Parme est, après Armance (1827) et Le Rouge et le Noir (1830), le troisième et dernier roman achevé de Stendhal (1783-1842). Si l'histoire semble inspirée d'une chronique italienne relatant la jeunesse du pape Alexandre Farnese, il ne subsiste aucune trace de la genèse du livre,...

  • ROME, NAPLES ET FLORENCE, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 778 mots

    Rome, Naples et Florence (1826), version très remaniée d'un livre paru neuf ans plus tôt (Rome, Naples et Florence, en 1817) est le deuxième ouvrage d'Henri Beyle (1783-1842) et le premier signé du pseudonyme de Stendhal. À travers ce récit de voyage, l'auteur témoigne de son amour...

  • LE ROUGE ET LE NOIR (Stendhal) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 1 253 mots
    • 1 média

    Julien Gracq a magnifiquement évoqué la « tranquille insurrection intellectuelle et affective » qui s'empare de quiconque ouvre Le Rouge et le Noir. Grand classique du roman du xixe siècle, le livre dépasse largement le cadre du réalisme qui semble le caractériser alors même que ...

  • VIE DE HENRY BRULARD, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 925 mots

    Entre les deux principaux ouvrages autobiographiques de Stendhal, il existe moins une différence de degré que de nature : comme l'indique clairement son titre, les Souvenirs d'égotisme(1832) présentent un Henri Beyle mémorialiste de lui-même sous la Restauration – dix jours d'écriture...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    On connaît la circonspection de Stendhal au moment où il s'engage dans la Vie de Henry Brulard : « Qu'ai-je été, que suis-je, en vérité je serais bien embarrassé de le dire. » C'est précisément la prégnance des « je » et des « moi » qui fait obstacle à la sincérité, mais aussi à l'écriture même....
  • CRÉATION LITTÉRAIRE

    • Écrit par Gilbert DURAND
    • 11 578 mots
    • 3 médias
    ...exprimer cet impératif créateur de l'écriture littéraire qui privilégie tel ou tel regard sur les espaces et sur les choses. Nous montrions alors comment Stendhal privilégie, pour exalter tel ou tel sens de l'œuvre, soit un « portant épique », soit un « portant mystique » du décor : portants qui vont situer,...
  • DEL LITTO VITTORIO (1911-2004)

    • Écrit par Michel CROUZET
    • 808 mots

    Vittorio Del Litto aura marqué un moment capital du « stendhalisme », qu'il aura incarné sous tous ses aspects par ses écrits qui vont de 1935 à 1997, et par l'exercice de ce qu'il faut bien appeler au meilleur sens du mot, un pontificat : il y avait son Stendhal-Club, paru de...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Avec Racine et Shakespeare (1823-1825), Stendhal, « hussard du romantisme » selon Sainte-Beuve, insiste sur une idée force, la nécessité d'actualiser des formes théâtrales sclérosées : il appelle de ses vœux « une tragédie nationale en prose » qui offrirait aux contemporains les trésors de leur histoire...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi