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STENDHAL (1783-1842)

Le romancier

Chez Stendhal comme chez Balzac, Gautier, Baudelaire, l'expérience et la réflexion esthétiques ne se séparent pas de l'écriture. Stendhal, plus nettement que tout autre, est passé par cette méditation sur les arts pour élargir son idéal de beauté et de style : en apparence, il s'éloigne de la littérature, il la réduit à sa personne (le journal), il la déborde en découvrant les effets qui le passionnent dans la peinture et la musique. En fait, l'artiste-écrivain aspire à une nouvelle littérature, et souffre dès le début d'une insuffisance du « classicisme » qui le conduit à revenir à la littérature enrichi et fortifié par son passage par l'esthétique ; celle-ci suppose une autonomie nette de l'art, un pouvoir global de signification et, surtout, de suggestion, plus de confiance aussi dans les capacités créatrices de l'imagination. À rebours du classicisme, ce que Stendhal appelle « le style », le sien, suppose un brisement des continuités (d'où l'importance du fragment, de la parataxe, de l'ellipse, du détail), un refus de la construction et une préférence pour l'implicite et sa capacité illimitée de sens. Stratégie d'inachèvement, polyphonie ludique : l'« effet Cimarosa » ou l'« effet Corrège » sont chez Stendhal des données stylistiques.

Conteur, anecdotier, Stendhal a pratiqué le récit, sans jamais songé à écrire un roman. Il s'y met pour des motifs personnels : dans Armance, il conçoit le personnage d'Octave, héros impuissant, en plein désespoir amoureux, en pleine défaite de lui-même. Le roman est alors une manière impersonnelle de dire le moi. Ses souvenirs jamais avoués de la passion pour Métilde sont dans Lucien Leuwen. Le plus intime de sa vie, les impressions de l'arrivée à Milan, impossibles dans Henry Brulard, sont permises dans La Chartreuse. Et puis, en 1827, le roman est un genre dont les romantiques s'emparent. Stendhal y vient par le romanesque, patrie utopique de ceux qui rêvent de passions et d'héroïsme, d'exploits et de bonheur absolu. C'est son monde, celui de ses premières lectures (le Tasse, l'Arioste, Cervantès), qui le placent dans l'univers enchanté et magique de l'éternel « romance ». Le romanesque est un monde complet, c'est ce qu'il nomme l'espagnolisme, ce culte du beau en tout, l'engagement illimité dans la chimère qui annule la réalité et en fait une terre d'exil. Tout commence donc avec Don Quichotte, et Stendhal, comme tant de romanciers du xixe siècle, en revient à cette fondation du roman moderne. Tous ses héros sans exception sont définis par le conflit entre l'idée (qui peut être l'idéalisme politique, l'abus des livres, l'a priori du cœur) et le monde tel qu'il est.

Car, en 1827, le roman, c'est aussi le roman historique et politique, à l'exemple de Walter Scott, et le premier roman de Stendhal adapte au monde contemporain les procédés de saisie de l'histoire. Le romantique découvre la « modernité » du roman, qui s'adresse à un public « démocratique », raisonnable et positif, qui se méfie des conventions du genre et de l'imagination, et qui veut satisfaire à la fois son goût du « romanesque » et son incrédulité. Renonçant à la fiction, le roman, qui se dit miroir, veut être vrai et propose un ensemble de faits authentiques. Stendhal n'invente pas le sujet de ses romans ; le plus souvent, il emprunte son schéma directeur à un autre texte (Latouche pour Armance, son amie Mme Gaulthier pour Lucien Leuwen), à un fait-divers notoire (l'affaire Berthet pour Le Rouge et le Noir) ou réécrit, en changeant les données temporelles, un autre récit (Le Philtre ; La Chartreuse, née des Origines de la famille Farnese). Mais il lui faut encore la caution[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Michel CROUZET. STENDHAL (1783-1842) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Stendhal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stendhal

Autres références

  • LA CHARTREUSE DE PARME, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 993 mots
    • 1 média

    La Chartreuse de Parme est, après Armance (1827) et Le Rouge et le Noir (1830), le troisième et dernier roman achevé de Stendhal (1783-1842). Si l'histoire semble inspirée d'une chronique italienne relatant la jeunesse du pape Alexandre Farnese, il ne subsiste aucune trace de la genèse du livre,...

  • ROME, NAPLES ET FLORENCE, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 778 mots

    Rome, Naples et Florence (1826), version très remaniée d'un livre paru neuf ans plus tôt (Rome, Naples et Florence, en 1817) est le deuxième ouvrage d'Henri Beyle (1783-1842) et le premier signé du pseudonyme de Stendhal. À travers ce récit de voyage, l'auteur témoigne de son amour...

  • LE ROUGE ET LE NOIR (Stendhal) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 1 253 mots
    • 1 média

    Julien Gracq a magnifiquement évoqué la « tranquille insurrection intellectuelle et affective » qui s'empare de quiconque ouvre Le Rouge et le Noir. Grand classique du roman du xixe siècle, le livre dépasse largement le cadre du réalisme qui semble le caractériser alors même que ...

  • VIE DE HENRY BRULARD, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 925 mots

    Entre les deux principaux ouvrages autobiographiques de Stendhal, il existe moins une différence de degré que de nature : comme l'indique clairement son titre, les Souvenirs d'égotisme(1832) présentent un Henri Beyle mémorialiste de lui-même sous la Restauration – dix jours d'écriture...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    On connaît la circonspection de Stendhal au moment où il s'engage dans la Vie de Henry Brulard : « Qu'ai-je été, que suis-je, en vérité je serais bien embarrassé de le dire. » C'est précisément la prégnance des « je » et des « moi » qui fait obstacle à la sincérité, mais aussi à l'écriture même....
  • CRÉATION LITTÉRAIRE

    • Écrit par Gilbert DURAND
    • 11 578 mots
    • 3 médias
    ...exprimer cet impératif créateur de l'écriture littéraire qui privilégie tel ou tel regard sur les espaces et sur les choses. Nous montrions alors comment Stendhal privilégie, pour exalter tel ou tel sens de l'œuvre, soit un « portant épique », soit un « portant mystique » du décor : portants qui vont situer,...
  • DEL LITTO VITTORIO (1911-2004)

    • Écrit par Michel CROUZET
    • 808 mots

    Vittorio Del Litto aura marqué un moment capital du « stendhalisme », qu'il aura incarné sous tous ses aspects par ses écrits qui vont de 1935 à 1997, et par l'exercice de ce qu'il faut bien appeler au meilleur sens du mot, un pontificat : il y avait son Stendhal-Club, paru de...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Avec Racine et Shakespeare (1823-1825), Stendhal, « hussard du romantisme » selon Sainte-Beuve, insiste sur une idée force, la nécessité d'actualiser des formes théâtrales sclérosées : il appelle de ses vœux « une tragédie nationale en prose » qui offrirait aux contemporains les trésors de leur histoire...
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