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SCIENCES Science et christianisme

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La « guerre entre science et théologie »

À la fin du xviie siècle, la nouvelle science avait triomphé, et un accord nouveau s'établit entre les Églises chrétiennes et la nouvelle « philosophie naturelle ». La nature était devenue un immense mécanisme, comme une gigantesque horloge ; et la perfection de ce mécanisme démontrait l'existence d'un Créateur intelligent. Utilisant les nouvelles découvertes de la cosmologie newtonienne, de l'anatomie, de l'entomologie, les théologiens, souvent savants eux-mêmes, développèrent à l'envi cette « preuve sensible » de l'existence de Dieu. Le mouvement fut très fort en Angleterre et, sur le continent, dans les pays protestants. Les pays catholiques suivirent avec plus de réserve. Le danger de cette « preuve », c'est qu'elle favorisait aussi bien le déisme d'un Voltaire que le christianisme. Par ailleurs, une interprétation plus libérale de l'Écriture permettait de concilier des cosmogonies physiques et le texte de la Genèse. Sur le moment, ce « concordisme » facilita l'accord sur quelques questions délicates, comme celle de l'histoire de la Terre. Cependant, en recréant une union intime entre le christianisme et la science du moment, cette « théologie naturelle » s'exposait aux mêmes dangers qu'avec l'aristotélisme médiéval, celui de voir cette science mécaniste, créationniste et fixiste devenir périmée, ce qui n'allait pas tarder.

Depuis le début du xviiie siècle, l'empire de la théologie chrétienne en morale et en politique avait été remis en cause, au nom de la Raison et de la Nature. Polémique clandestine, d'abord, puis de plus en plus ouverte, et qui s'attaqua aussitôt aux Églises en place, accusées d'avoir sciemment trompé le peuple pour assurer leur pouvoir. Déistes ou athées, les philosophes se réconcilient dans l'anticléricalisme. À partir du milieu du siècle, la nouvelle philosophie gagne la science elle-même, et surtout les sciences de la vie, qui seront désormais le lieu des conflits majeurs entre science et religion. Le cas de Buffon, qui commence à publier son Histoire naturelle en 1749, est exemplaire. En rejetant la science du début du siècle, il entre automatiquement en conflit avec la « théologie naturelle ». Contre Newton, il affirme que le système solaire n'a pas été directement créé par Dieu, mais qu'il doit son existence à un phénomène naturel. Il refuse au déluge biblique tout rôle dans l'histoire de la Terre, dont il augmente la durée au-delà de toutes les estimations antérieures, fondées sur la Bible. Il défend la génération spontanée, commence à penser à une évolution des formes vivantes et laisse entendre que l'homme est d'abord un animal très perfectionné.

Personnage officiel, Buffon cherche à sauver les apparences et esquive adroitement les critiques des théologiens. Au reste, ses idées ont plus de succès auprès des philosophes, qui les utilisent dans leur combat propre, que de ses confrères. Dans l'ensemble, malgré le prestige grandissant de la science, c'est la philosophie, appuyée sur la Raison et la Nature, qui se pose en adversaire des superstitions du passé. Mais les éclatants succès que connaît la science entre 1770 et 1820 lui donnent un prestige inégalé. Elle apparaît comme le symbole des progrès de l'esprit humain et c'est d'elle qu'on attend le bonheur de l'humanité. Elle est devenue une puissance autonome, qui ne connaît que des phénomènes matériels et des causalités naturelles. La « théologie naturelle » était morte, mais beaucoup de théologiens ne s'en étaient pas encore aperçus.

La Révolution française et la vague de déchristianisation spontanée ou forcée qu'elle occasionna furent suivies dans toute l'Europe d'un renouveau religieux[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire des sciences à l'université de Paris-I, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jacques ROGER. SCIENCES - Science et christianisme [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2009

Autres références

  • SCIENCE, notion de

    • Écrit par
    • 1 954 mots

    La science désigne traditionnellement, pour les philosophes, une opération de l'esprit permettant d'atteindre une connaissance stable et fondée. Platon (428 env.-env. 347 av. J.-C.) oppose ainsi, dans le livre V de La République, la science et l'opinion, cette dernière réputée changeante...

  • ANALOGIE

    • Écrit par , et
    • 10 427 mots
    Tout langage de description ou d'interprétation théorique utilisé dans les sciences de la nature comporte une sémantique et une syntaxe, la première portant sur les « objets » que l'on met en relation, la seconde sur ces relations elles-mêmes. Les données sémantiques sont au fond des ...
  • ANTHROPOLOGIE DES SCIENCES

    • Écrit par
    • 3 546 mots
    • 1 média

    L’anthropologie des sciences constitue, au sein de l’anthropologie sociale, le champ d’étude relatif aux faits de savoir, notamment naturels (botanique et zoologie au premier chef). Elle peut être saisie au sein d’une double généalogie : celle des ethnosciences d’une part ; celle de la sociologie...

  • ARCHÉOLOGIE (Traitement et interprétation) - Les modèles interprétatifs

    • Écrit par
    • 2 426 mots

    L'archéologie ne saurait se résumer à la simple collecte d'objets contenus dans le sol. Elle ne saurait non plus se cantonner, comme elle l'a longtemps été, au rôle d'une « auxiliaire de l'histoire », incapable par elle-même d'interpréter ses propres documents. Toute science dispose à la fois de faits...

  • CAUSALITÉ

    • Écrit par , et
    • 12 987 mots
    • 3 médias
    Le cheminement de la notion métaphysique à un principe utilisable en sciences a été graduel et lent : il a fallu, du côté de la philosophie, restreindre les ambitions ; et, du côté des sciences, clarifier les principes et instituer des expériences.
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