WILDE OSCAR (1854-1900)

La célébrité d'Oscar Wilde tient à son destin. Prodigieusement doué, d'un esprit étincelant qui subjugua la société londonienne, fin lettré, nourri de Swinburne, de Ruskin, de Walter Pater, il a surtout été considéré comme un esthète décadent et révolté : son procès pour mœurs acheva de faire de lui une figure publique entourée d'éclat, de honte et de scandale. Lui-même savait combien la vie empiétait dangereusement sur son art et sur sa personne quand il confiait à Gide « avoir mis tout son génie dans sa vie et son talent seulement dans son œuvre ». Son personnage fut, et par sa propre faute, entouré par une légende de causeur génial et d'écrivain mineur, mais ses poèmes, son roman Le Portrait de Dorian Gray, sa correspondance, dont la lettre si importante dite De profundis écrite à lord Alfred Douglas en 1897, révèlent une personnalité divisée et tragique, un profond narcissisme, une attirance de l'échec qui l'apparentent aux romantiques et sur lesquels il faut de nouveau s'interroger.

Oscar Wilde, Toulouse-Lautrec

Oscar Wilde, Toulouse-Lautrec

Oscar Wilde, Toulouse-Lautrec

Henri de TOULOUSE-LAUTREC, Oscar Wilde, huile sur carton. The Collection M. Conrad H. Lester,…

Oscar Wilde, 1882

Oscar Wilde, 1882

Oscar Wilde, 1882

Oscar Wilde confiait à André Gide : « J'ai mis tout mon génie dans ma vie ; je n'ai mis que mon…

Une hérédité complexe

L'hérédité et l'éducation jouent un rôle particulièrement important dans la vie d'Oscar Wilde : sa mère, Jane Francisca Elgee, ardente poétesse qui avait choisi comme pseudonyme Speranza, collaborait au journal nationaliste irlandais The Nation quand un procès retentissant mit fin à ses activités littéraires. Comme d'autres furent accusés d'avoir composé les appels aux armes dont elle était l'auteur, elle revendiqua la paternité de ses écrits. Cette Junon théâtrale, courageuse, capable de grandeur comme de grotesque, finit par épouser William Wilde, oculiste célèbre et chirurgien, don Juan obstiné, d'une infatigable activité. La carrière brillante de ce médecin fut à son tour interrompue par les accusations venimeuses d'une maîtresse abandonnée, d'où un procès entouré de ridicule qui signa la déchéance d'un des hommes les plus remarquables d'Irlande. Oscar Wilde et son frère, Willie, assistèrent à cette lente dégradation qui se termina par la mort de leur père avant la cinquantaine.

À la naissance d'Oscar à Dublin, lady Wilde désirait à tout prix une fille ; elle déguisa sa déception en travestissant son fils qui fut élevé comme la fille qu'elle n'avait pas eue. La naissance d'une petite Isola n'y changea rien et la mort à l'âge de neuf ans de cette sœur fut un grand drame dans l'enfance de Wilde : « Toute ma vie est enterrée là, jetez de la terre dessus », écrira-t-il dans un poème. Drame d'autant plus marquant que la mère demeurait, plus que jamais, l'unique figure féminine qui sût le retenir. Ainsi ce fils d'un couple fantasque, original, ce produit d'une « famille sale, désordonnée, hardie, imaginative et cultivée », selon les termes de Yeats, sera-t-il la victime d'une enfance étrange et d'une hérédité « aux mains chargées de présents ». « Ce n'est pas notre propre vie que nous vivons, mais la vie des morts », écrira-t-il dans Intentions (1891). Comme le souligne Robert Merle dans le remarquable ouvrage qu'il lui a consacré, le goût du vêtement, de l'apparence, du travesti et du mot d'esprit hérité de sa mère, le deuil d'Isola qui le frustrait d'une présence féminine bénéfique, un mariage sans passion durable avec une jeune héritière, Constance Lloyd, dépourvue de personnalité, le dégoût du physiologique et de la procréation, la peur de la vieillesse, un narcissisme insatiable parce que dès l'abord blessé, une nature fluctuante et masochiste, tout prédisposait Wilde à l'homosexualité. Certes, ses goûts devaient déjà être définis dès son adolescence (il fit ses études au Trinity College de Dublin en 1871-1874, et à Oxford en 1874-1878), mais ce fut la rencontre d'Alfred Douglas qui les affirma avec éclat. [...]

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Diane de MARGERIE, « WILDE OSCAR (1854-1900) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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Oscar Wilde, Toulouse-Lautrec

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Oscar Wilde, 1882

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