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MONOCHROME, peinture

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Le monochrome, nouveau genre pictural

Alors que le monochrome était considéré sous les auspices d'une analytique réductionniste qui procédait par élimination, des artistes introduisent, au cours des années 1950, d'autres problématiques. Loin d'être un terme, la monochromie, table rase, peut apparaître comme un commencement. Les White Paintings et les Black Paintings exposées par Robert Rauschenberg (1925-2008) à la Stable Gallery (New York) en 1953 ne demandent qu'à accueillir les bruits du monde, ce que feront les Combine Paintings, plans accrochés aux cimaises ou disposés dans l'espace, et occupés par des objets de toute nature. Au cours de la même décennie, Ellsworth Kelly (1923-2015) utilise la monochromie pour promouvoir des œuvres qui tendent à troubler l'association entre couleur et peinture d'une part, achromie et sculpture d'autre part. Nombre de ses réalisations magnifient une manière d'hybridation entre le tableau et la sculpture.

Mais c'est sans doute avec Yves Klein (1928-1962) que s'ouvre une nouvelle ère pour la monochromie picturale. Il inaugure son parcours d'artiste par la réalisation d'un recueil de « reproductions », Yves Peintures (1954). Dans chaque exemplaire de ce portfolio, Klein réunit une dizaine de papiers unis colorés, présentés comme des reproductions de tableaux monochromes. Quelques mois plus tard, il peint vraiment des monochromes. L'un d'eux fut refusé par le comité d'organisation du Salon des réalités nouvelles (1955) sous prétexte qu'une surface unie, ce n'est pas suffisant. Ce refus s'est transmué en intronisation. Klein exposait l'année suivante une série de monochromes de diverses couleurs à la galerie Colette Allendy (Paris, 1956). Devenu Yves le monochrome, l'artiste choisit un bleu auquel il donna son nom – le bleu IKB, International Klein Blue dont il déposa la formule à l'Institut national de la propriété industrielle.

Jusqu'à sa mort, Klein a multiplié les expositions de peintures monochromes, tant en France qu'en Europe et aux États-Unis. Bien qu'il ne se soit pas limité à cette forme d'expression, son activisme, le charme de ses explications et la qualité visuelle de ses monochromes bleus, or ou roses ont joué un rôle déterminant dans la promotion d'une forme de peinture jusqu'alors rare et atypique. Outre Klein, divers artistes européens et américains se livrent à des variations monochromatiques, tandis que Piero Manzoni (1933-1963) promeut l'achromatisme. En se diversifiant, la monochromie atteste que, loin d'être une limite ultime ou un moyen transitoire de renouveau, elle peut devenir un territoire pictural à part entière. Udo Kultermann, directeur du musée de Leverkusen, en prend acte en 1960 lorsqu'il organise la première exposition thématique dévolue à la monochromie. Sobrement intitulée Monochrome Malerei, elle a fait date. Dans le texte introductif du catalogue, Kultermann, commissaire de l'exposition, affirmait l'existence d'une « nouvelle conception » de la peinture. L'exposition elle-même n'accueillait que des peintres vivants. Elle ne présentait aucune des racines historiques de la monochromie. Plusieurs tendances s'y côtoyaient. Outre les œuvres d'artistes qui pratiquaient une monochromie résolue, au premier rang desquels se trouvaient Klein et Manzoni, on pouvait y voir celles de peintres dont la lumière constituait la préoccupation essentielle, tels Francesco Lo Savio (1935-1963) ou Jef Verheyen (1932-1984), d'artistes abstraits qui rencontraient épisodiquement la couleur seule, comme Serge Charchoune (1888-1975) ou Willy Baumeister (1889-1955), et enfin de matiéristes, souvent monochromes, dont Antoni Tàpies (1923-2012) offrait une parfait illustration.

L'exposition Monochrome Malerei dressait[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Denys RIOUT. MONOCHROME, peinture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 09/06/2023

Autres références

  • LA PEINTURE MONOCHROME. HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE D'UN GENRE (D. Riout)

    • Écrit par
    • 1 390 mots

    Ainsi que l'indique le sous-titre de l'ouvrage La Peinture monochrome(éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1996), le patient et méticuleux travail mené par Denys Riout a d'abord consisté à définir le statut de la peinture monochrome au sein de l'histoire de l'art avant de relever les toutes premières...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    ...uniformément plane ». Si, comme le remarque Donald Judd en 1965, « deux couleurs appliquées sur une surface se trouvent presque toujours situées à des profondeurs différentes », l'unique solution réside dansla monochromie radicale, aboutissement et terme de la « réduction moderniste ».
  • FONTANA LUCIO (1899-1968)

    • Écrit par
    • 1 525 mots
    ...originale par quoi, aujourd'hui, se reconnaissent ses peintures de cette époque. La lame de rasoir, le cutter ou le poinçon se mettent donc à entamer les toiles monochromes. L'idée lui en est venue à la faveur d'un incident, ou plutôt d'un accident. Il endommage l'une des toiles qu'il s'apprêtait à exposer...
  • HONEGGER GOTTFRIED (1917-2016)

    • Écrit par
    • 795 mots

    Acteur majeur de l’ art concret, Gottfried Honegger est né le 12 juin 1917. Il commence sa carrière comme graphiste dans les années 1930 à Zurich, sa ville natale. En 1939, il se rend à Paris où il peint ses premiers paysages et quelques portraits de style cubiste. Le début de la Seconde Guerre...

  • KLEIN YVES (1928-1962)

    • Écrit par
    • 2 792 mots
    En 1955, Klein souhaita exposer à Paris un monochrome orange au salon des Réalités nouvelles, dévolu à l'art abstrait. Le comité d'organisation refusa l'œuvre car « une seule couleur unie », cela paraissait insuffisant. Klein organisa alors une exposition, Yves Peintures, dans...
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