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DAVIS MILES (1926-1991)

Aura

Rarement le jazz aura connu à la fois une telle précocité et une telle longévité musicales. Pourtant, les facultés techniques de Miles Davis sont limitées. Même si elles se sont affermies avec le temps, nous restons bien loin de la virtuosité triomphante de Fats Navarro et de Dizzy Gillespie. Maître il l'est, mais de la conduite du discours, de l'économie des moyens. « Vous savez, ce n'est pas la peine de faire des tas de notes. Il suffit de jouer les plus belles » : ces propos, rapportés par Francis Marmande, le définissent tout entier. Son timbre est l'un des plus dense de l'histoire du jazz. Incisif dans l'aigu, brumeux dans le grave, Miles Davis sait enchaîner plaintes rauques et souffles à peine modulés. Une absence de vibrato, une subtile utilisation de la sourdine wa-wa, une émission d'une étonnante précision, un instrument accordé volontairement un peu bas donnent à sa sonorité, à la fois tendue et détimbrée, un grain que seul peut-être Chet Baker saura approcher. Le phrasé dissimule un swing ambigu, flottant, indécis. Peu enclin aux modulations, Miles Davis baigne dans un monde modal voué à la contemplation harmonique. Est-ce pour casser ce statisme rythmique, pour animer ce hiératisme naturel qu'il choisit le plus souvent de s'entourer de partenaires dérangeants, de musiciens étrangers à son univers, de batteurs toujours très puissants, aimant les ruptures de tempo et les accents cahoteux ? Miles Davis n'a vraiment retrouvé sa famille que dans la musique pacifiée de Gil Evans. Amoureux du non-dit, de la brisure, il nous offre d'infinies paraphrases sur des thèmes de ballades, avec un lyrisme délicat qui fait écho au chant voilé de Bix Beiderbecke. Il sait aussi pousser le blues, lancinant et morbide, jusqu'à l'aspérité. Miles Davis aura traversé et fécondé tous les styles, sans que s'altère ce jeu linéaire, pointilliste, brûlant comme la glace, sans que s'efface cette présence à la fois légère et oppressante qui se fond dans le silence. In a silent way.

— Pierre BRETON

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Pour citer cet article

Pierre BRETON. DAVIS MILES (1926-1991) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Miles Davis - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Miles Davis

Miles Davis et Jeanne Moreau - crédits : Keystone/ Getty Images

Miles Davis et Jeanne Moreau

Autres références

  • KIND OF BLUE (M. Davis)

    • Écrit par Pierre BRETON
    • 232 mots
    • 1 média

    Au cours d'une carrière qui fut à la fois longue et précoce, Miles Davis a côtoyé les plus grands et est parvenu, sans perdre ni son âme ni les caractéristiques d'un style reconnaissable entre tous, à traverser toutes les modes : le be-bop, le cool, le hard bop, le free ...

  • ADDERLEY JULIAN dit CANNONBALL (1928-1975)

    • Écrit par Danièle MOLKO
    • 438 mots
    • 2 médias

    Né à Tampa (Floride) le 15 septembre 1928, le saxophoniste et compositeur de jazz américain Julian Adderley est issu d'une famille de musiciens.

    Par admiration pour Lester Young, il étudie différents instruments à vent : clarinette, flûte, trompette, et choisit enfin le saxophone alto....

  • CHAMBERS PAUL (1935-1969)

    • Écrit par Pierre BRETON
    • 718 mots

    Au cours d'une trop brève carrière, le contrebassiste et compositeur américain de jazz Paul Chambers a offert au hard bop un alliage idéal de force retenue, d'intelligence discrète et de musicalité débordante. Par ses dons et sa sensibilité, il se pose en héritier de Jimmy Blanton...

  • COLTRANE JOHN (1926-1967)

    • Écrit par Alain GERBER
    • 1 417 mots
    • 1 média
    En 1955, encore ignoré du public, il est engagé par Miles Davis dans un quintette qui allait enregistrer quelques-uns des disques phares de l'époque (Cookin', Relaxin', Steamin', etc.). Il y affine sa technique, mais, surtout, il s'y trouve confronté à ses démons : en refusant de...
  • COOL, jazz

    • Écrit par Eugène LLEDO
    • 420 mots

    À la fin des années 1940, un nouveau courant s'affirme autour de Lennie Tristano ou de Miles Davis : le cool. Allant à l'encontre des tempos ultrarapides du be-bop, le cool redécouvre la fluidité et l'héritage de Lester Young.

    À la fin des années 1940, face à la saturation de l'espace...

  • Afficher les 22 références

Voir aussi