Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STRAVINSKI IGOR FEODOROVITCH (1882-1971)

Le propriétaire de toutes choses

Il semble aussi que Pulcinella (1920) soit une étape importante dans l'évolution esthétique de Stravinski. Certes, avant de se référer à Pergolèse, il avait pratiqué des emprunts, surtout de mélodies populaires russes, mais aussi d'une chanson française (Elle avait une jambe de bois) dans Petrouchka. Mais peut-être est-ce avec Pulcinella qu'il découvre que toute musique, même celle de Pergolèse, devient, lorsqu'il la reprend, une œuvre nouvelle, profondément originale. Dès lors, Stravinski agit comme s'il se sentait propriétaire de toute musique existante, à quelque style qu'elle appartienne, et comme, chaque fois, il la transforme pour en faire « du Stravinski », sans que soit supprimée pour autant la source originale, apparaît cette variété des styles qui a si souvent étonné aussi bien ses admirateurs que ses détracteurs. C'est ainsi que Tchaïkovski lui fournit Le Baiser de la fée (1928) ; Rossini, Jeu de cartes (1936) ; Glinka et César Cui, Mavra (son œuvre préférée, 1921) ; Grieg, les Norwegian Moods (Impressions norvégiennes, 1942) ; Haydn, la Symphonie en ut majeur (1938-1940) ; Guillaume de Machault, la Messe, pour chœur mixte et double quintette à vent (1944-1948) ; J.-S. Bach, le Dumbarton Oaks Concerto (1938) ; etc. Et chaque fois, si l'on reconnaît assez facilement le modèle, et d'autant plus facilement qu'il arrive que Stravinski l'indique lui-même, on est cependant en face d'une œuvre telle que n'importe quel auditeur, même inexpérimenté, y reconnaît infailliblement l'auteur du Sacre. Il y introduit toujours une touche personnelle, une combinaison instrumentale que seule une imagination comme la sienne a pu concevoir. Ces combinaisons instrumentales, il aime d'ailleurs à les renouveler à l'infini, à trouver des solutions inédites, à refuser souvent la disposition de l'orchestre telle qu'elle lui est léguée par la tradition. À cet égard, il est l'un des plus grands précurseurs de certaines recherches de la seconde moitié du xxe siècle. L'une des solutions les plus originales découvertes par lui est sans doute celle de Noces, ballet écrit pour solistes chanteurs, chœurs, quatre pianos et percussions. Même lorsque, se référant volontairement à des formes traditionnelles comme il le fait dans son opéra The Rake's Progress (écrit sur le livret de Wystan H. Auden et Chester Kallman, d'après des gravures de Hogarth, créé à La Fenice de Venise en 1951), il tourne le dos à la conception du drame musical tel qu'on l'imaginait après Wagner et Alban Berg et pratique le découpage en scènes et tableaux, il n'oublie pas de se réserver une part d'insolite en poussant l'audace jusqu'à ne pas orchestrer une scène entière et à la faire accompagner par le seul piano.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris

Classification

Pour citer cet article

Michel PHILIPPOT. STRAVINSKI IGOR FEODOROVITCH (1882-1971) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Igor Stravinski</em>, J.-É. Blanche - crédits : Josse/ Leemage/ Corbis Historical/ Getty Images

Igor Stravinski, J.-É. Blanche

Stravinski et Diaghilev - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stravinski et Diaghilev

<it>Œdipus Rex</it> - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Œdipus Rex

Autres références

  • LE SACRE DU PRINTEMPS (I. Stravinski)

    • Écrit par Alain PÂRIS
    • 239 mots

    La création du Sacre du printemps, le 29 mai 1913, au théâtre des Champs-Élysées, à Paris, a donné lieu à l'un des plus fameux scandales de l'histoire de la musique, empoignades entre les spectateurs, sifflets et hurlements couvrant la musique. Alors que la comtesse de Pourtalès déplorait...

  • AUDEN WYSTAN HUGH (1907-1973)

    • Écrit par Laurette VÊZA
    • 1 076 mots
    • 1 média
    Nul n'était mieux qualifié qu'Auden pour collaborer avec Stravinski au Rake's Progress (« La Carrière d'un roué »), cet opéra brillant où se déchaînent librement leur verve et leur virtuosité.
  • BALLET

    • Écrit par Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE
    • 12 613 mots
    • 20 médias
    ...Ce sont les musiciens du Groupe des Cinq, Borodine pour Le Prince Igor, Rimski-Korsakov pour Shéhérazade, puis un jeune élève de ce dernier, Igor Stravinski, à qui il commande la musique de L'Oiseau de feu en 1910. Ces partitions frémissantes surprennent et séduisent par leur énergie rythmique...
  • BÉJART MAURICE JEAN BERGER dit MAURICE (1928-2007)

    • Écrit par Bérengère ALFORT, Marie-Françoise CHRISTOUT
    • 1 474 mots
    ...engagé à Stockholm dans la compagnie de Birgit Cullberg. C'est là qu'il monte sa première chorégraphie, L'Oiseau de feu (1950-1951). La partition d'Igor Stravinski avait été créée en 1910 par Michel Fokine pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev. Sur la suite pour orchestre, Béjart...
  • COCTEAU JEAN (1889-1963)

    • Écrit par Christian DOUMET
    • 2 388 mots
    • 6 médias
    ...marque, esthétiquement, l'avènement du xxe siècle. Cocteau connaissait Diaghilev, pour lui avoir fourni le scénario d'un ballet, Le Dieu bleu. Stravinski était aussi de ses proches. Au printemps de 1913, le compositeur et le chorégraphe créent Le Sacre du printemps. Le tout-Paris, scandalisé...
  • Afficher les 18 références

Voir aussi