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COCTEAU JEAN (1889-1963)

Le 11 octobre 1963 avait lieu, à Cuverville, la vente aux enchères de la bibliothèque de Gide. Le même jour, à Milly-la-Forêt, une crise cardiaque terrassait Jean Cocteau.

<it>Le Train Bleu</it> - crédits : Sasha/ Hulton Archive/ Getty Images

Le Train Bleu

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L'avenir n'aura pas de peine à voir là la fin d'une époque, que Cocteau couvrit tout entière et dont il fut peut-être le porte-parole le plus éloquent. Osant la vivre, osant affronter toutes ses formes d'expression, il l'habita si exactement qu'on a peine à présent à l'en détacher.

Il avait pris la précaution de naître en 1889, la même année que Charlie Chaplin. Il prendra celle de mourir en même temps que Francis Poulenc et Édith Piaf.

Les succès du jeune homme

Il est des œuvres qui s'édifient loin du public, d'autres qui s'adressent à lui et attendent ses réponses pour rebondir. D'emblée, celle de Cocteau appartient au second genre, celui des « coqueluches » et des enfants maudits.

À dix-neuf ans, il est fêté par le tout-Paris. On organise une matinée théâtrale où sont présentées les œuvres du jeune poète. Il n'avoue coquettement que dix-huit ans. Le succès suit. Les femmes du monde, les poètes en vue s'arrachent l'enfant prodige, réputé pour avoir la conversation la plus spirituelle de Paris.

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Succès essentiellement mondain, d'ailleurs. Ces recueils de poèmes paraissent au public du temps aussi brillants qu'inoffensifs. Ils offrent aujourd'hui l'aspect d'une collection d'influences, mal armée pour résister au passage des modes. On a peine cependant à imaginer ce que fut cet engouement tout parisien pour un Parisien-né, cette popularité parmi les élites mondaines et artistiques du jeune bourgeois issu d'une lignée d'agents de change et d'amiraux. Bien peu d'œuvres longtemps approfondies connurent une telle inauguration !

Ce « Prince frivole » fréquente tout ce qui compte alors dans les arts et les lettres : Catulle-Mendès, les Daudet, les Rostand, la comtesse de Noailles, Proust... Autant de figures dont il dessinera les traits dans ses Portraits-souvenirs (1935). L'homme qui marche vers la cinquantaine se penche, dans cette délicate autobiographie, sur les médaillons d'un salon qui serait le Paris mondain des années folles. Il observe surtout l'enfant qu'il y fut, heureux de la Madeleine à Maisons-Laffite ; étonné par les réceptions musicales ou la découverte du cirque ; ébloui devant les « monstres sacrés » de la Comédie-Française. Un enfant baigné dans l'air du temps, et mis en éveil par tout ce qui bouge en art. Le jeune garçon tient du « petit prince », l'adolescent, de la vedette de salon. Qui n'eût succombé à de si brillants auspices ? Cocteau, lui, sait échapper au sort des innombrables étoiles filantes qui illuminent l'époque.

<it>Œdipus Rex</it> - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Œdipus Rex

Avec une intuition significative, il choisit, pour rallier l'avant-garde, la date qui marque, esthétiquement, l'avènement du xxe siècle. Cocteau connaissait Diaghilev, pour lui avoir fourni le scénario d'un ballet, Le Dieu bleu. Stravinski était aussi de ses proches. Au printemps de 1913, le compositeur et le chorégraphe créent Le Sacre du printemps. Le tout-Paris, scandalisé en fait aussitôt un échec. Cocteau, lui, s'en trouve « déraciné de fond en comble », comme il le dira plus tard. Il comprend la leçon, et en retient ce qui lui paraît être désormais la voie à suivre.

Cette voie, il l'emprunte résolument. Tournant le dos, peu à peu, au parisianisme, il se retire dans la solitude, et compose Le Potomak. Ton neuf, réflexions lucides, ironie mordante : ici commence la prose nerveuse, scintillante et fluide, ses phrases lapidaires et ses métaphores empruntées aux rêves. « En ai-je suivi des crapules, des imbéciles, des princes ! je me déchausse et je me brosse. » Ici, surtout, se déclare l'éclectisme. Le Potomak s'offre comme un recueil de dessins et de proses, les uns et les autres marqués de la même tendance au laconisme, à la précision, au saisissement et, en même temps, à la dérive onirique. Conscient de sa mue, Cocteau s'écrie : « Me voilà quelque chose de tout à fait machine, de tout à fait antenne, de tout à fait Mors. Un Stradivarius des baromètres. Un diapason. Un bureau central des phénomènes. » Le voilà prêt à affronter les bouleversements, et à y prendre part.

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Les bouleversements, c'est d'abord la guerre. Cocteau se porte au front, comme ambulancier et comme poète : volontaire, il entre dans la Section d'ambulances aux armées créée par Étienne de Beaumont ; il compose le Discours du grand sommeil, qu'il déclare traduit « de cette langue morte, de ce pays mort où [ses] amis sont morts ». On songe aux poèmes de guerre d'Apollinaire, et pourtant, l'écriture est plus nue, le ton plus halluciné.

De retour à Paris, le permissionnaire retrouve ses amis dans les ateliers de Montparnasse et de Montmartre. Peintres, écrivains, musiciens, ils ont nom Max Jacob, Apollinaire, Picasso et Satie. Sous l'impulsion de Cocteau-le-rassembleur, qui travaille à établir un courant communiquant entre toutes les formes d'expression artistique, le peintre, le poète et le musicien se rejoignent. De la conjuration de Satie, de Picasso et de Cocteau naît le ballet Parade. Il est créé sous les huées : c'est la preuve qu'il dérange ! C'est le signe qu'on est sur la bonne voie ! Dans Parade, comme dans Le Coq et l'Arlequin, que Cocteau écrit peu après, c'est l'air ambiant, ses atmosphères de symbolisme, ses relents de complexité gratuite, qui enregistrent la secousse. « Satie enseigne la plus grande audace à notre époque : être simple. »

Fraternité fiévreuse, qui se scelle par des manifestations collectives, comme celles du groupe des Six, auquel s'adjoint Cocteau, par des créations de revues, par des chroniques ; par des inimitiés aussi, comme celles qu'il entretient avec Breton et le groupe Dada à sa naissance. Qu'importe ! Cocteau est partout : il joue, il danse, il fait la guerre, il vole (avec Roland Garros). Et il écrit.

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Tout ce qu'il écrit alors se rattache de près ou de loin à une rencontre. À une révélation, plutôt : celle de Raymond Radiguet. « Le seul honneur que je réclame, écrira Cocteau, est d'avoir donné pendant sa vie à Raymond Radiguet la place illustre que lui vaudra sa mort. » Le futur auteur du Bal du comte d'Orgel a quinze ans. Cocteau flaire en lui le génie. Il en fait l'inséparable ami, tôt associé à l'écriture, dans Les Mariés de la tour Eiffel. Au Picquey, près d'Arcachon, où ils se retirent tous deux, Cocteau travaille au Secret professionnel, pendant que son compagnon écrit Le Diable au corps. Il y définit les choix de son esthétique personnelle. Toujours sous l'impulsion de Radiguet, il se met au roman. Le Grand Écart, Thomas l'imposteur voient le jour. Période d'intense activité, qui donne le ton de ce que seront désormais la vie et l'œuvre de Cocteau : du surréalisme, il ne supporte pas le dogme ; de tout ce qui peut l'aider à parler, il adopte les moyens fulgurants, les traits sans détours, les formules sans obscurité. Il va droit au coup de maître, sans plus rien devoir aux modèles. On croit percevoir une rage de créer, mais on est surpris de la découvrir délicate et sans bavures.

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université Stendhal, Grenoble

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<it>Le Train Bleu</it> - crédits : Sasha/ Hulton Archive/ Getty Images

Le Train Bleu

<it>Œdipus Rex</it> - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Œdipus Rex

Orphée, J. Cocteau - crédits : Roger Corbeau/ Getty Images

Orphée, J. Cocteau

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