GRÉGOIRE Ier LE GRAND saint (540 env.-604)

Grégoire I<sup>er</sup> - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Grégoire Ier

Dans une Église d'Occident désormais « passée aux barbares », alors que l' Italie est ravagée par toutes sortes de calamités, Grégoire Ier apparaît à la fois comme le pape qui eut à défendre et à reconstituer les structures ecclésiastiques et comme l'auteur avec lequel est né le Moyen Âge. Quoique venant à la fin de la grande période patristique, il sera l'écrivain le plus souvent cité par les théologiens et spirituels médiévaux. Selon une liste qui remonte au viiie siècle, il est considéré, avec Ambroise, Jérôme et Augustin, comme un des quatre « docteurs » de l'Église latine. Et il est, avec saint Léon, le seul pape auquel la postérité ait donné le surnom de « grand », sans doute à cause de l'autorité de son pontificat dans le domaine des rapports entre l'Église et la cité temporelle. Mais c'est surtout comme pasteur et maître de vie spirituelle que ce contemplatif, devenu pape, a marqué le Moyen Âge latin et tout le christianisme occidental.

Haut fonctionnaire, moine et pontife

Grégoire naît à Rome d'une vieille famille patricienne, apparentée à la gens Anicia et dès longtemps chrétienne : le pape Félix II (mort en 492) était son trisaïeul ; sa mère Sylvia est honorée comme sainte, ainsi que deux sœurs de son père, Tharsilla et Aemiliana. Il reçoit une formation intellectuelle qui peut lui valoir la réputation d'homo litteratus, mais il n'est que de comparer son latin, d'ailleurs correct et limpide, avec celui de Léon le Grand (mort en 461) pour constater le déclin de la culture classique en ce temps. Au reste, son refus d'« assujettir les paroles de l'oracle céleste aux règles de Donat » (dédicace des Moralia) n'est qu'un lieu commun familier aux écrivains chrétiens. Grégoire, entré dans la carrière administrative, parvient, dès avant 573, à la très haute charge de praefectus Urbis ; il acquiert dans cette fonction l'expérience des affaires, le sens de l'ordre, de l'autorité, du service du bien commun.

Mais bientôt, quoique non sans hésitations, il renonce aux affaires, transforme en monastère sa maison familiale du clivus Scauri, sur les pentes du Coelius, et fonde six autres couvents dans ses domaines de Sicile. Il gardera toujours la nostalgie de ces années paisibles où il pouvait vaquer à la prière et à la lecture : c'est alors sans doute qu'il acquiert une forte culture biblique et patristique, fréquentant surtout l'œuvre d' Augustin. En 579, le pape Pélage II l'ordonne diacre et l'envoie comme apocrisaire (l'équivalent d'un nonce) à Constantinople, où il restera six ans, sans songer, d'ailleurs, à apprendre le grec ni à s'initier à la théologie orientale – ce qui montre combien est déjà profond le fossé entre les deux cultures, entre les deux parties de la chrétienté.

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Grégoire rentre à Rome en 585 ou 586 et reprend la vie monastique. Mais, en janvier 590, alors que Pélage est emporté par la peste, il est élu pape par l'acclamation unanime du clergé et du peuple. C'est en vain qu'il essaie de se dérober et d'obtenir de l'empereur Maurice qu'il ne confirme pas l'élection : il est consacré à Saint-Pierre le 3 septembre.

La ville est ravagée par la peste, menacée par la famine, le Tibre déborde : on peut croire que la fin du monde est proche (cf. Homélie sur l'Évangile, I, 35). Le nouveau pape prêche pour ranimer les courages, organise des prières solennelles et des processions au chant des litanies ; en même temps, il assure le ravitaillement en faisant venir du blé de Sicile. Tout son pontificat sera ainsi, dans une situation extrêmement difficile, un effort de réorganisation et de restauration. Grégoire administre sagement le « patrimoine de saint Pierre » – dont le domaine s'étend jusqu'en Sicile –, base de la puissance territoriale de l'Église en Italie et du futur État pontifical. Il en tire de quoi faire de larges aumônes. Lors d'une nouvelle incursion lombarde qui menace Rome (592), il supplée à l'inaction de l'exarque de Ravenne en négociant une trêve avec le roi barbare. Et la légende le montrera s'avançant au-devant d'Agulf comme autrefois saint Léon au-devant d'Attila.

Dans les questions ecclésiastiques, il fait preuve d'autorité vis-à-vis des églises suburbicaires (de la Toscane au sud de l'Italie), dont il est le métropolitain. Au-delà de ces limites, il intervient auprès du métropolite de Ravenne, qu'il rappelle au respect des usages liturgiques, et surtout il réussit à résorber le schisme qui séparait de Rome les évêques dépendant du métropolite d'Aquilée. Se considérant comme le sujet du basileus de Constantinople, il maintient cependant l'indépendance de l'Église vis-à-vis du pouvoir civil et revendique les droits du successeur de Pierre (une lettre à l'empereur Maurice rappelle explicitement les textes évangéliques sur lesquels se fondent ces droits, Epistulae V, 20). Il intervient à plusieurs reprises dans des questions relatives aux patriarcats d'Antioche et d'Alexandrie, et même de Constantinople, et refuse avec intransigeance au titulaire de ce dernier le droit de se nommer patriarche œcuménique : il voit dans cette prétention un geste d'orgueil et une atteinte à la dignité et aux droits des autres patriarches (Epistulae V, 43 ; VII, 35 ; VIII, 30 ; lui-même déclare renoncer à ce titre et se contenter de celui de servus servorum Dei, « serviteur des serviteurs de Dieu »). On voit ainsi l'autorité du pape s'exercer, avec des modalités différentes, sur trois zones : Rome et l'Italie suburbicaire, l'Occident, l'Orient et même Constantinople.

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Il faut enfin rappeler l'action de Grégoire vis-à-vis de la Bretagne, où l'invasion des Anglo-Saxons avait, dès 428, ruiné entièrement le christianisme. Il fait acheter en Gaule de jeunes esclaves anglais pour les faire élever dans des monastères et, en 596, il envoie chez les Angles une quarantaine de moines missionnaires sous la conduite d'Augustin, qui sera le premier archevêque de Cantorbéry.

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