Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GRÂCE

Le mot « grâce » et la réalité qu'il désigne ont une importance centrale dans la vie de l'humanité, et particulièrement dans l'histoire et la théologie chrétiennes. S'il est vrai que tout homme souffre d'un sentiment diffus et non expliqué de culpabilité, la grâce serait la parole, la thérapie, le changement radical de climat psychologique qui l'en délivrerait ; s'il est vrai, selon Kafka, que la vie de chacun ressemble à un procès sans autre issue possible que la condamnation capitale, et que l'individu est fatalement écartelé entre ce qu'il est et les valeurs qu'il reconnaît, entre sa vie et son idéal, entre son comportement et les maîtres mots de la société dans laquelle il vit, la grâce serait le verdict inattendu, renversant l'ordre logique des choses et permettant à celui qui en est l'objet de recommencer à vivre comme innocent ; s'il est vrai, enfin, dans l'univers religieux, que, pour la plupart des familles spirituelles, le problème central est celui de l'expiation ou de la réconciliation entre la divinité et son adorateur, si les rites de purification de celui qui est souillé, les sacrifices dans lesquels une victime sainte meurt en lieu et place du pécheur, en un mot si la médiation entre le dieu irrité et la communauté fautive ont, dans le monde entier, une telle importance, la grâce serait l'acte qui efface, d'un coup, tout le contentieux séparant le ciel de la terre, et qui permet au croyant une nouvelle existence avec, devant lui, la page vierge d'une vie miraculeusement rénovée.

De nombreux usages et tournures de langage viennent confirmer cette importance de la grâce et la nostalgie qu'en conserve tout homme : c'est, par exemple, le « droit de grâce », privilège de chefs d'État agissant au nom de la nation hypostasiée, dans les pays qui ont encore conservé l'usage barbare de la peine de mort et de l'exécution capitale ; c'est implicite dans l'expression populaire : « Il n'y a pas de pardon », indiquant que tout se paie et que la justice immanente est une fatalité à laquelle nul ne saurait échapper ; c'est encore l'emploi de plus en plus courant, dans un sens profane, du mot « justifier », par lequel on entend dire que la vie pourrait bien être un non-sens sans l'intervention de quelque chose ou de quelqu'un qui en valorise et en récapitule les moments et actes épars ; c'est aussi l'extraordinaire quête de la communication authentique, qui traverse la littérature et l'art contemporains : Beckett, Godard, Sartre, Bergman attestent, chacun à sa façon, dans maints livres, films et pièces de théâtre, que la malédiction fondamentale qui pèse sur l'homme est celle du silence, de la solitude, du regard mortel de l'autre et, dans leurs désespoirs, s'esquisse ce que pourrait être la grâce : l'amour, l'amitié, le prochain et une vie nouvelle où ce ne seraient plus la haine, l'orgueil et l'absurdité de la mort qui régneraient...

De l'étymologie aux données bibliques

 En grec profane, c'est le mot charis (χ́αρις) qui désigne la grâce. Il signifie originellement – et ceci est décisif pour la coloration du mot – ce qui brille, ce qui réjouit. De là, on passe aux trois significations classiques du mot :

a) le charme de la beauté, la joie, le plaisir ; b) la faveur, la bienveillance, les égards, les marques de respect, la condescendance, le désir de plaire, la bonne grâce ; c) la reconnaissance (rendre grâce, d'où : eucharistie), la récompense, la rémunération, le salaire, le cadeau (d'où : charisme, don matériel ou spirituel) reçu en vertu de la seule faveur du roi ou de la divinité.

Comme la plupart des autres vocables religieux, ce mot a aussi un sens dévalué et vague : bonheur[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur d'État en théologie, administrateur du musée Calvin de Noyon

Classification

Pour citer cet article

Georges CASALIS. GRÂCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGELUS SILESIUS JOHANNES SCHEFFLER dit (1624-1677)

    • Écrit par Eugène SUSINI
    • 2 059 mots
    ...on l'abaisse, je l'exalte. Il veut dire simplement, cela va de soi, que Dieu est Dieu par nature et que l'homme n'a part à la divinité de Dieu que par grâce. L'importance de la liberté éclate. Il n'y a chez Silesius aucune trace de prédestination, pas l'ombre d'un quelconque pessimisme....
  • AUGUSTIN saint (354-430)

    • Écrit par Michel MESLIN
    • 8 969 mots
    • 2 médias
    Ainsi, partant de l'expérience personnelle de sa propre conversion, Augustin développa une théologie de la grâce qui est essentiellement fondée sur l'idée que la grâce est une délectation céleste. Elle constitue l'appel à un tel bonheur qu'elle entraîne l'adhésion de la ...
  • AUGUSTINISME

    • Écrit par Michel MESLIN, Jeannine QUILLET
    • 5 572 mots
    ...parvenir à la sainteté. Jean Cassien fut leur porte-parole : formé à l'école du monachisme oriental, il affirmait que Dieu et l'homme, la grâce et le libre arbitre coopéraient pour sauver l'homme pécheur. À ses yeux, le problème important était de savoir quand, et sous quelle impulsion,...
  • BAÏUS MICHEL DE BAY dit (1513-1589)

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 703 mots

    Né à Meslin, dans le Hainaut, Michel de Bay, dit Baïus, doit sa célébrité à la polémique qu'il engagea sur la question de la grâce et de la prédestination. La controverse allait, après sa mort, connaître un éclatant rebondissement avec la querelle du jansénisme.

    Étudiant à l'université...

  • Afficher les 22 références

Voir aussi