GLACIERS

Le mot glacier réunit deux ensembles de nature différente mais qui sont indissociables. Il désigne, d'une part, une masse de glace d'un seul tenant, avec le névé et la neige qui la recouvrent en partie, et, d'autre part, les moraines mouvantes qu'il transporte. La définition ne prend pas la taille en compte puisqu'elle englobe aussi bien les minuscules glaciers de cône d'avalanche d'un hectare que l'inlandsis du Groenland (environ 1,7 million de km2) et la calotte antarctique de plus de dix millions de kilomètres carrés, auxquels il faut ajouter les prolongements flottants, les banquises. Cependant, un glacier désigne aussi, surtout dans les latitudes tempérées de hautes montagnes, un fleuve de glace, s'écoulant sous l'effet de la pesanteur – ce n'est qu'une partie d'un glacier au premier sens du terme. Son bassin d'alimentation peut être bien délimité par des parois rocheuses (cirque glaciaire), et dans ce cas être multiple (glacier composé) ; néanmoins, on observe une situation inverse : un champ de glace ennoyant plus ou moins le relief est drainé par de nombreux « glaciers émissaires ». L'extrémité inférieure (front du glacier) peut être une falaise de glace « vêlant » des icebergs dans l'océan (glaciers marins), ou dans un lac, ou une falaise de glace en pleine paroi d'où se détachent des séracs (glacier suspendu), ou une rampe de glace sur la terre ferme.

La glaciologie est l'étude de la glace naturelle sous toutes ses formes : neige, glace de glacier, de rivière, de lac, de mer, glace dans le sol, etc. Les cristaux de glace et de neige dans l'atmosphère sont plutôt étudiés par les météorologues au titre de la physique des précipitations. L'étude des glaciers conduit naturellement à rechercher les mécanismes de l'érosion glaciaire et de la formation des moraines, mais l'étude des formes de relief et des dépôts dus à d'anciens glaciers est laissée aux géomorphologues et aux géologues. La glaciotectonique est la discipline qui étudie et, surtout, prévoit les mouvements de la glace. Plus généralement, la glaciotectonique s'intéresse à tous les processus et phénomènes qui leur sont liés, dus à la dynamique de la glace sous les effets conjugués de la gravité et de la météorologie.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

L'aspect fleuve de glace soulève des problèmes très intéressants outre celui, fondamental, de la loi de déformation de la glace [cf. glace]. L'écoulement comprend une déformation générale du glacier (engendrant en surface, dans les zones en extension, des crevasses), et des processus à la base, à l'échelle du microrelief du lit, constituant ce qu'on appelle le glissement du glacier. Ce glissement n'est important que si la température de fusion est atteinte à la base. Il dépend alors de la pression d'eau sous-glaciaire, et donc de l'hydrologie au sein du glacier ; il cause l'érosion glaciaire de la roche en place.

Glaciologie

Les résultats obtenus par la glaciologie intéressent l'économie de vastes régions. Ils concernent les constructions et le drainage en présence d'un sol gelé permanent, la « traficabilité » hivernale et les sports d'hiver, les ressources en eau et l'hydroélectricité, la protection civile contre les avalanches de neige ou de glace, contre les débâcles de lacs de barrage glaciaire.

Carotte glaciaire - crédits : Jason Edwards/ The Image Bank Unreleased/ Getty Images

Carotte glaciaire

La glaciologie n'est toutefois devenue une science majeure et féconde que grâce à la recherche fondamentale, entreprise en grande partie par des universitaires. C'est avant tout de la géophysique de terrain, travail d'équipe à caractère souvent sportif, par opposition à la géophysique d'observatoire, mais elle s'accompagne de longues études des échantillons recueillis et suscite de nombreuses recherches en laboratoire. La glaciologie s'est particulièrement intégrée à la climatologie depuis les forages dans l'inlandsis groenlandais et, surtout, dans la calotte antarctique, en permettant la reconstitution des climats passés, notamment en relation avec les variations de composition de l'atmosphère. Ces derniers aspects sont décrits dans les articles antarctique, océan arctique , paléoclimatologie et réchauffement climatique.

Historique

La glaciologie a débuté très tôt, avec l'étude des glaciers alpins par des naturalistes de Suisse romande, tel Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799). En 1815, Perraudin convainc J. de Charpentier que les glaciers ont autrefois recouvert toute la Suisse, et en 1836, celui-ci convainc Louis Agassiz. Ce dernier, entre 1827 et 1840, poursuit des observations sur l'Unteraargletscher avec d'autres géologues de Neuchâtel. En 1832, il accompagne le physicien et alpiniste anglais J. D. Forbes sur la mer de Glace, en 1840 et 1847, il publie les premiers livres sur les glaciers.

À cette époque on venait de découvrir les lois de l'optique cristalline, mais Agassiz ignorait encore que les « fragments anguleux » qu'il voyait en surface des glaciers étaient des monocristaux. Les lois de l'élasticité et de la viscosité avaient été formulées, mais n'étaient connues que des mathématiciens et ingénieurs. En 1850, W. Thomson (lord Kelvin) n'interprétait pas correctement ses expériences sur la glace, croyant qu'une forte pression hydrostatique rendait la glace plus fluide, alors qu'elle la rend seulement moins cassante. La nature cristalline de la glace fut étudiée par F. A. Forel (1882) et la déformation d'un monocristal par J. C. McConnel (1888).

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

En 1866 avait commencé le grand recul des glaciers alpins qui, mis à part quelques avances éphémères, a duré un siècle. Une Commission internationale des glaciers, chargée d'étudier leurs variations, fut créée en 1894. Après la catastrophe de Saint-Gervais en 1892, des études et des travaux furent faits sur le glacier de Tête-Rousse par Joseph Vallot et P. Mougin jusqu'en 1904. De 1895 à 1899, Hess et Blümcke font forer (sans moteur !) l'Hintereisferner jusqu'au lit rocheux.

Suit une période d'exploration : de l'Antarctique (quatre expéditions en 1902, expéditions de Charcot en 1904-1905 et 1908-1910), de l'inlandsis groenlandais (traversées faites par A. de Quervain en 1912, Koch et A. Wegener en 1913), de l'Alaska, de l'Himālaya... La photogrammétrie terrestre fait son apparition en 1911, la photogrammétrie aérienne en 1923, la prospection sismique vers 1926, et ces techniques sont aussitôt utilisées pour la cartographie et la détermination d'épaisseur des glaciers.

Dans la troisième période, les besoins du génie civil font étudier deux domaines nouveaux : les sols gelés (en U.R.S.S., à partir de 1928) ; la neige et les avalanches (R. Haefeli et H. Bader, en Suisse de 1934 à 1939). Conséquence de la guerre froide, le corps du génie de l'armée des États-Unis crée un important institut de recherches (S.I.P.R.E. devenu le C.R.R.E.L., cf. infra, Principaux instituts et équipes de recherche) qui, sous la direction de H. Bader, fait des recherches fondamentales et appliquées sur l'inlandsis, la neige, les sols gelés et la glace de mer.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

En 1956-1957, l'Année géophysique internationale est l'occasion d'un très important effort international de recherches sur l'Antarctique qui se poursuivra depuis de façon ininterrompue (la National Science Foundation consacre pour le support logistique des expéditions antarctiques américaines de toutes disciplines environ 100 millions de dollars par an).

En 1952-1953, des physiciens du solide de Cambridge (Angleterre), J. Glen et J. Nye, établissent la loi de déformation de la glace. En 1958, un colloque à Chamonix marque le début des théories modernes sur l'écoulement des glaciers. Mais il fallait mettre au point un appareillage ad hoc, en particulier un radar permettant le sondage des calottes polaires (Evans et Gordon de Q. Robin, 1963-1964), et des appareils de forage (à jet de vapeur, à eau chaude en circuit ouvert, F. Gillet, du Laboratoire de glaciologie de Grenoble, 1966), et de carottage (premier carottage à grande profondeur, jusqu'au socle rocheux, soit 2 164 m, à la station Byrd : Lile, 1968). Signalons comme autres développements technologiques cruciaux, mais non propres à la discipline : l'informatique (première modélisation numérique de la calotte antarctique : Budd, Jenssen et Radok, 1971) ; l'analyse d'éléments à l'état de traces dans les carottes polaires par spectrographie d'absorption atomique, activation neutronique ou ionométrie ; la cartographie de la glace de mer à partir de satellites, en particulier à l'aide du radar à synthèse d'ouverture (1982) ; et le datage des carottes de glace polaire avec un accélérateur de particules couplé à un spectrographe de masse.

Les glaciologues

L'historique ci-dessus montre l'évolution de plus en plus rapide de la discipline : en gros, observations de naturalistes au xixesiècle, puis études d'ingénieurs (en France, appartenant au corps des Eaux et Forêts), enfin recherches par des physiciens et géophysiciens devenus glaciologues « à plein temps ». Ces derniers utilisent des appareillages de plus en plus sophistiqués, et ont introduit des modèles physiques, permettant de ramener les faits glaciologiques à des sciences de base. Cette évolution a entraîné une spécialisation croissante au sein de la glaciologie, où l'on peut reconnaître plus d'une dizaine de spécialités. Par ailleurs, comme il n'y a jamais eu de filière de formation propre à la glaciologie, les glaciologues actuels sont d'origine très diverse : géographes, géologues, forestiers, physiciens du solide, géophysiciens, mécaniciens, hydrauliciens.

Malgré cela, les glaciologues forment une communauté internationale très unie. Cela a été facilité par leur nombre restreint, mais s'explique aussi par des causes plus profondes telles que la nécessité d'un travail de terrain physiquement éprouvant, dans un environnement rude – la solidarité « entre montagnards » et entre « polaires » s'ensuit – et l'existence de journaux scientifiques de glaciologie. En 1907, E. Brückner fonda le Zeitschrift für Gletscherkunde, repris après la Seconde Guerre mondiale par R. von Klebelsberg (au titre fut ajouté : und Glazialgeologie), auquel a succédé M. Kuhn, d'Innsbruck. Mais surtout le Journal of Glaciology (Cambridge), fondé en 1947 par G. Seligman, est trisannuel. Ce journal, de très haut niveau et admirablement édité, est publié par la British Glaciological Society, devenue l'International Glaciological Society (I.G.S.). Le Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement édite annuellement un rapport d'activité. Il y a actuellement une dizaine d'autres journaux de glaciologie, nationaux, sans compter les publications non périodiques d'instituts. Par ailleurs l'I.G.S. organise tous les ans un colloque, et en patronne d'autres, organisés par des instituts de recherche ou des groupes informels, dont elle publie les communications.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

Sur le plan officiel, intergouvernemental, nécessaire pour l'impulsion ou la coordination de programmes internationaux, l'ancienne Commission des glaciers, devenue en 1939, après fusion avec la Commission des neiges, la Commission internationale des neiges et des glaces (I.C.S.I.), a été rattachée aux autres commissions de l'Association internationale des sciences hydrologiques (A.I.S.H.), créée en 1932. L'A.I.S.H. est l'une des sept associations formant l'Union internationale de géodésie et géophysique (U.G.G.I.), et cette structure est reproduite dans chaque pays.

— Louis LLIBOUTRY

Glaciotectonique

Au cours d'un englacement progressif, un certain nombre de processus caractéristiques de la poussée des glaciers et, a fortiori, des inlandsis apparaissent. Des sédiments d'origine non glaciaire, de même que des dépôts glaciaires stratifiés sont, d'une façon générale, déformés par des plissements et des surfaces de fracture. Ces replis, reconnaissables souvent dans les formes topographiques ainsi que le long des coupes verticales, sont dus aux phénomènes glaciotectoniques. Les plis ont leurs axes normaux aux mouvements du glacier et ondulent donc généralement parallèlement aux anciens lobes glaciaires. Toutes ces structures s'observent dans les glaciers actuels, mais elles représentent aussi les témoins de l'existence des glaciers (et donc des glaciaitions) du passé.

Ainsi, au Quaternaire, autour des grands inlandsis, les structures glaciotectoniques sont bien caractérisées. Au Danemark, on peut observer toute une série d'écailles limitées par des failles dans des argiles et des graviers, le déplacement qui en résulte étant avant tout une translation horizontale (Ristingue Klint). La falaise de Røgle Klint montre, sur 600 à 700 mètres, cinq plis étirés et faillés affectant les argiles marines à Tellina (interglaciaire Mindel-Riss, environ — 320 000 ans), ainsi que quatre moraines et trois séquences fluvioglaciaires. À Hanklit, les diatomites et cinérites (des roches sédimentaires faites de la cimentation respective de micro-organismes marins et de cendres volcaniques) de l'Éocène (il y a environ 40 millions d'années) se retrouvent au cœur d'un magnifique pli couché de 500 mètres de longueur sur 60 mètres de hauteur, formé par ailleurs de matériaux grossiers glaciaires ou fluvioglaciaires quaternaires.

Découvrez l'intégralité de nos articles sans publicité

En Allemagne du Nord-Ouest, la région d'Itterbeck montre, le plus souvent, une tectonique analogue s'étendant sur quelques kilomètres dans des sédiments non consolidés de l'Oligocène et du Quaternaire. Au Pays-Bas, le déplacement vertical est de l'ordre de 150 mètres, tandis que le déplacement latéral peut atteindre 30 kilomètres dans la Veluwe. En Pologne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (Minnesota, South Dakota...), on observe des phénomènes analogues.

La texture des couches glaciotectonisées montre que les déformations cassantes en milieu rigide prédominent. Or les roches affectées sont presque toujours meubles, par conséquent peu aptes à enregistrer de telles déformations. Moraines, dépôts stratifiés fluvioglaciaires, marnes sont écaillés de telle façon que les lits ne sont pas perturbés dans les chevauchements. Cela implique que ces matériaux étaient rigides, et seule une cimentation par la glace peut en rendre compte. Dans le cas où des masses de 100 à 150 mètres de puissance sont affectées, un gel saisonnier ne pouvant rendre rigide une telle épaisseur, il faut faire intervenir la présence d'un pergélisol. Toutes ces indications sont précieuses pour reconstituer le milieu climatique dans lequel s'est effectuée la progression glaciaire. Dans des séries géologiques plus anciennes, on a retrouvé des restes incontestables de glaciotectonique, spécialement dans la glaciation siluro-ordovicienne au Sahara. Dans les monts d'Ougarta et dans les Tassilis, des écailles, plis et cassures, formés à l'état gelé, ont été trouvés dans des grès et des quartzites. Dans le nord des Eglab, la série répétée de l'Ordovicien supérieur est interprétée par des écaillages glaciaires.

— François ARBEY

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrir

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : chargé de cours à l'université de Paris-XI
  • : professeur à l'université de Grenoble-I, directeur du laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement du C.N.R.S., président du Comité scientifique et technique de l'Association nationale de l'étude de la neige et des avalanches

Classification

Médias

Carotte glaciaire - crédits : Jason Edwards/ The Image Bank Unreleased/ Getty Images

Carotte glaciaire

Glacier Athabasca, Canada - crédits : H. Saxby, 2005

Glacier Athabasca, Canada

Autres références

  • ACCUMULATIONS (géologie) - Accumulations continentales

    • Écrit par
    • 5 057 mots
    • 12 médias
    L'accumulation par les glaciers résulte non seulement de leur rôle en tant qu'organismes de transport, mais encore de l'intervention des volumes considérables d'eaux de fusion qu'ils fournissent saisonnièrement. Il existe donc une accumulation glaciaire et fluvio-glaciaire. L'une et l'autre capitalisent...
  • ALASKA

    • Écrit par et
    • 6 051 mots
    • 10 médias
    76 000 km2 de l'Alaska sont recouverts de glace, soit 5 p. 100 de la surface totale. La mesure est approximative : certains glaciers avancent ou régressent rapidement et leur impressionnant recul depuis le début du xxe siècle est un des marqueurs du réchauffement climatique actuel. Les grands...
  • ALPES

    • Écrit par , , et
    • 13 217 mots
    • 11 médias
    ...atteignait un maximum d’environ 3 000 mètres d’altitude dans les hautes Alpes et environ 2 000 mètres sur la bordure de la chaîne. Cette limite supérieure des glaciers est visible, entre autres, dans les formes des sommets et les noms qui leur ont été donnés. En Engadine (Grisons), les montagnes abrasées par...
  • ANDES CORDILLÈRE DES

    • Écrit par et
    • 10 966 mots
    • 5 médias
    ...centrales). Les actions nivales sont en revanche très limitées en comparaison de celles que l'on trouve dans les montagnes de latitudes moyennes (sud du Chili). Les glaciers, qui sont souvent des résidus des périodes plus froides et humides, flottent dans des moraines trop amples. On distingue les glaciers « de...
  • Afficher les 26 références

Voir aussi