ACCUMULATIONS (géologie) Accumulations continentales
Le vent et les eaux de ruissellements ou d'écoulements divers, y compris solides (glaces), sont susceptibles de développer des actions d'ablation, de transport et de dépôt, en chaque point de leurs trajectoires, selon le bilan qui s'établit entre l'énergie dont ils disposent et leur charge. Ce type d'accumulation relève naturellement des activités fluviatiles, glaciaires ou éoliennes.
Accumulation fluviatile
L'accumulation due aux ruissellements et aux écoulements provoqués par la pluie et les fusions nivale ou glaciaire représente le type le plus universellement répandu à la surface des continents, les régions aréiques n'ayant guère d'existence réelle. Aussi engendre-t-elle une famille de formes très fréquentes et fort diversifiées. Prolongée et développée sur de vastes espaces, en particulier, elle aboutit à l'édification d'une surface d'aggradation. En revanche, l'alluvionnement n'est qu'un phénomène temporaire de dépôt, dont les éléments sont toujours susceptibles d'être mobilisés à nouveau lors des crues. Il s'agit donc d'un matériel en transit.
D'une façon générale, l'accumulation fluviatile découle d'un déséquilibre persistant entre les débits solide et liquide en faveur de la charge. Les causes en sont variées et peuvent intervenir aussi bien en périodes de stabilité des conditions de la morphogenèse qu'à la faveur de crises morphogéniques majeures.
Accumulation en périodes de stabilité
Toute cause susceptible de provoquer un ralentissement du flot entraîne un état de surcharge. Un cas banal est celui du débordement des crues dans le lit d'inondation. Le freinage provoqué par la diminution de la profondeur et le rôle de piège joué par la végétation arborée et buissonnante des rives déclenchent l'édification de levées naturelles ou bourrelets de rive, entre le lit mineur (ou ordinaire) et le lit majeur (ou d'inondation). En deçà s'édifie une plaine alluviale par sédimentation de la charge sablo-limoneuse. On citera l'exemple des immenses varzeas construites par les débordements de l'Amazone au-delà des restingas qui jalonnent son lit mineur. Les vestiges de ces plaines d'accumulation laissés par une phase de creusement ultérieure constituent des terrasses fluviatiles. Le long des grands fleuves, leur emboîtement exprime la succession de périodes d'accumulation et de creusement.
À proximité du niveau de base des cours d'eau, des conditions favorables au dépôt se traduisent par la construction de formes d'accumulation typiques, car l'écoulement et le transport cessent, progressivement, en raison de l'insignifiance croissante de la pente. Ainsi se développent les deltas aux embouchures des fleuves et des rivières, en progression plus ou moins rapide vers la mer et de types variés, selon l'importance des apports alluviaux, l'agressivité des eaux marines et les caractéristiques du relief sous-marin. Ceux des plus grands fleuves (Mississippi, Gange et Brahmapoutre, Yiangzijiang, Volga) sont de vastes plaines de niveau de base, marécageuses, où le cours d'eau méandre et se divise en multiples chenaux avant de se raccorder au niveau de base général (océan mondial) ou local (mer intérieure, lac ou dépression endoréique).
Les ruptures de pente qui accidentent parfois le lit des cours d'eau déclenchent aussi le dépôt d'une partie de la charge. Cette situation est très fréquente dans le cas des torrents des montagnes englacées au Quaternaire. La réadaptation des lits glaciaires à l'écoulement fluviatile, après la déglaciation, se manifeste par le colmatage des ombilics glaciaires par la construction de petites plaines d'accumulation, en amont des verrous plus ou moins sciés par l'écoulement torrentiel.
Dans une autre perspective, les conditions bioclimatiques de la morphogenèse peuvent favoriser les processus d'accumulation. À cet égard, le cas des milieux arides est typique. Cette situation y résulte de la diminution rapide vers l'aval du débit des oueds ou des écoulements diffus, à la fois par infiltration dans leurs lits asséchés entre les crues, et par évaporation. Il faut également mettre en cause la dispersion du flot dans de multiples chenaux (rillwash) ou son étalement en nappe (sheetwash). Dans certains piémonts désertiques, on observe ainsi le passage, vers l'aval, de formes d'ablation ( glacis d'ablation ou pédiment) à des glacis d'épandange issus de cette accumulation (fig. 1). Depuis longtemps, Andrew Cooper Lawson a signalé que cette situation aboutissait à la fossilisation des pédiments, en liaison avec l'empiétement de la suballuvial bench engendré par la sédimentation dans les playas (fig. 2).
Accumulation pendant les crises morphogéniques
Les déséquilibres accentués qui caractérisent les crises morphogéniques sont à l'origine de phénomènes d'accumulation accélérés et massifs. Ils résultent alors de mouvements orogéniques, de l'instabilité du niveau marin, ou de changements bioclimatiques.
Les mouvements orogéniques interviennent en modifiant les pentes, les dénivellations et la charge des écoulements. Toute genèse d'un relief important s'accompagne de la construction d'un piémont d'accumulation. D'une part, la fourniture en matériaux est accrue par le développement du volume rocheux livré à l'érosion ; d'autre part, la rupture de pente créée entre ce relief et son piémont entraîne leur dépôt progressif sous la forme de cônes alluviaux coalescents. Leur édification, d'abord synorogénique du fait de subsidences ou de plissements souples, au moins en amont, se poursuit après la stabilisation tectonique, grâce à la forte dénivellation due à la création du relief montagneux. Ainsi, le piémont des Pyrénées françaises présente des formations corrélatives tertiaires plissées (poudingues de Palassou et molasses néogènes), recouvertes en discordance par des cônes alluviaux quaternaires peu ou non déformés, tels que ceux du Lannemezan (fig. 3).
Les variations eustatiques du niveau marin déclenchent d'autres types d'accumulation, aussi bien par suite d'une remontée que d'un abaissement. Lorsqu'une transgression marine submerge une plaine côtière, elle provoque l'édification d'une plaine de niveau de base dans les mêmes conditions que celles qui sont créées par la sédimentation dans une dépression fermée (fig. 4). Les vastes plaines deltaïques de l'Europe du Nord résultent de la transgression flandrienne consécutive à la déglaciation postérieure au Würm. Mais une accumulation comparable peut se manifester lors d'une régression marine, à condition que la pente de la plate-forme littorale exondée soit inférieure à celle des écoulements. Cette fois encore, le dépôt provient de cette rupture de pente et vise à la régulation du profil. Selon qu'il s'agit d'écoulements linéaires ou diffus, ces accumulations d'origine eustatique se développent en lanières, ou s'étalent en nappes alluviales (fig. 5).
Les changements bioclimatiques peuvent être la cause essentielle d'importantes accumulations, par les perturbations majeures qu'ils provoquent dans les systèmes morphogéniques. Aux périodes de quasi-stabilité des formes de relief (biostasie), où la couverture végétale protège de l'ablation les formations superficielles meubles, s'opposent celles où l'amoindrissement de cette protection, consécutive à une péjoration du climat, permet leur ablation et le développement simultané d'une morphogenèse (rhexistasie, fig. 6).
On explique aujourd'hui de cette façon nombre de formes de relief d'ablation ou d'accumulation, étagées ou emboîtées, représentant les héritages des fluctuations climatiques qui ont marqué l'ère quaternaire. Dans les latitudes moyennes, il s'agit de glaciaires et d'interglaciaires, dans la zone intertropicale, de pluviaux et d'interpluviaux. Des travaux de géomorphologues portant sur des régions très diverses, en particulier ceux qui concernent le Sahara et ses marges semi-arides, ont mis en évidence l'importance capitale des phases de transition pendant lesquelles les milieux naturels sont le plus vulnérables face aux agressions de l'érosion.
Mais il importe de noter que l'accumulation fluviatile provient généralement de l'intervention simultanée de plusieurs de ces causes. Parmi les combinaisons les plus classiques, on citera celles qui associent les effets des fluctuations glaciaires et des variations du niveau marin dans le cadre du glacio-eustatisme. On conçoit aussi que l'édification de puissantes chaînes montagneuses puisse provoquer des perturbations bioclimatiques fondamentales. L'importante surrection que connaissent les hautes montagnes de l'Asie centrale (Himalaya, Tianshan, Kunlunshan) au Quaternaire a créé des bassins désertiques (Tarim, Dzoungarie), où se sont construits des piémonts d'accumulation considérables. En réalité, l'explication de l'accumulation, dans tous ces cas, relève alors de l'interférence des interventions de multiples facteurs pouvant s'épauler ou se contrarier. Elle exige une étude morphologique minutieuse des formes d'accumulation correspondantes, aussi bien que des sédiments qui les constituent.
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Écrit par
- Roger COQUE : professeur des Universités, professeur émérite à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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Médias
Autres références
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BASSIN SÉDIMENTAIRE
- Écrit par Roger COQUE
- 4 706 mots
- 6 médias
Quant aux formes d'accumulation, elles n'acquièrent d'importance réelle que dans le relief des bassins sédimentaires situés au contact du domaine alpin. Car leurs marges, dominées par de hautes montagnes, deviennent des piémonts fluvio-glaciaires constitués de puissants cônes d'alluvions associés à... -
DELTAS
- Écrit par Gilbert BELLAICHE
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DÉSERTS
- Écrit par Roger COQUE , François DURAND-DASTÈS , Huguette GENEST et Francis PETTER
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EMBOUCHURES
- Écrit par Jean-Pierre PINOT
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L'origine desaccumulations deltaïques réside dans le dépôt des particules grossières transportées par saltation ou par roulage, lorsque la pente (et donc la compétence) diminue à l'approche de la mer. Dans la partie interne du delta, le fait que la diminution de la compétence soit due à la mer n'a pas... - Afficher les 10 références
Voir aussi
- ÉCOULEMENT, hydrologie
- CLIMATIQUES FACTEURS
- CRYOKARST
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- SABLE TEMPÊTE DE
- LIT FLUVIAL
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- PIÉMONT, géomorphologie
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