Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BRUNO GIORDANO (1548-1600)

Emprisonné pendant huit années par l'Inquisition avant d'être brûlé, Giordano Bruno a connu une existence des plus troublées pour des raisons qui tiennent au contexte intellectuel de l'époque autant qu'à sa propre pensée. Celle-ci, incomprise de ses contemporains, a longtemps été trahie. Il est vrai que les écrits de Bruno, fort divers et d'une grande hardiesse, contiennent une profusion de questions dont il n'est guère aisé de saisir l'unité. Les thèmes les plus intéressants qu'il ait abordés, en philosophe, ont trait à la cosmologie, notamment aux rapports entre l'infinité de l'Univers et l'infinité de Dieu.

« Académicien de nulle académie »

Né à Nola, Filippo Bruno prit le nom de Giordano en 1565 quand il entra au couvent dominicain de Naples, après quelques études de littérature classique et de philosophie à l'université. Reçu docteur en théologie en 1572, il quitta définitivement son ordre en 1576, à la suite de deux procès.

En 1579, on le trouve à Genève, où il se convertit au calvinisme. La même année, il vint enseigner à Toulouse, puis monta à Paris en 1582, où il fut chargé de cours au collège de Cambrai. Henri III créa alors pour lui à la Sorbonne une chaire « extraordinaire » qui le dispensait d'assister aux offices religieux. En 1584, il accompagna en Angleterre l'ambassadeur du roi de France ; il y rencontra la reine Élisabeth ainsi que les docteurs d'Oxford. De retour à Paris en 1586, il engagea contre les péripatéticiens une violente polémique, dont il consigna plus tard les principaux arguments dans son célèbre Acrotismus camoeracensis. En 1587, il quitta la France pour six années d'errance dans les pays germaniques. En 1591, Zuane Mocenigo le fit venir à Venise pour y enseigner l'art de la mémoire et la géométrie. Ce riche patricien allait pourtant le livrer à l'Inquisition le 23 mai 1592. Bruno passa les dernières années de sa vie dans les cachots de l'Inquisition romaine qui avait obtenu son extradition. Soumis à d'interminables interrogatoires et à la torture, il fut condamné à mort le 8 février 1600, en tant qu'« hérétique impénitent, opiniâtre et obstiné ». Le 17 février 1600, alors qu'on lui avait arraché la langue pour les « affreuses paroles qu'il avait proférées », il fut conduit au Campo dei Fiori et y fut brûlé vif. Cruelle ironie du destin : le supplice eut lieu le lendemain du mercredi des Cendres.

Auteur maudit, Bruno fut redécouvert par Huygens, Leibniz, Bayle et Diderot. Mais il fallut attendre la fin du xviiie siècle pour que son œuvre en vînt à susciter un véritable intérêt chez des philosophes comme Jacobi, Schelling et Hegel. C'est vers le milieu du xixe siècle que naquit l'image légendaire d'un Bruno grand savant, martyrisé par l'Église non pas pour ses hérésies religieuses, mais pour sa cosmologie infinitiste et pour sa défense de l'héliocentrisme copernicien. Aujourd'hui, des études d'une remarquable érudition situent l'œuvre de Bruno dans le contexte de la Renaissance finissante. Frances Yates est même parvenue à dissiper de nombreuses obscurités du corpus en les référant à la tradition hermétique véhiculée par Marsile Ficin. Ces recherches ont pourtant abouti à diluer la pensée de Bruno dans les correspondances symboliques propres à l' hermétisme du Pimandre et de l'Asclepius. Certes, elles ont permis d'identifier les emprunts que fit Bruno à des doctrines très hétéroclites. Mais ce ne fut là pour le philosophe que des moyens de repenser autrement l'Univers, la Nature, Dieu, l'Être et la substance, la connaissance... Et, plutôt que de chercher à reconstruire un système propre à Bruno, il convient de retrouver ses intentions originales. Il n'est ni un illuminé, ni un occultiste,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de philosophie, maître de conférences en philosophie à l'Université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Jean SEIDENGART. BRUNO GIORDANO (1548-1600) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ASTRONOMIE

    • Écrit par James LEQUEUX
    • 11 339 mots
    • 20 médias
    ...méthode de calcul des tables des planètes ; ce n'est que lorsque l'on réalisera qu'elle remet en cause la physique d'Aristote que les ennuis commenceront : Giordano Bruno, disciple de Copernic, qui aura l'audace d'émettre l'hypothèse que les étoiles sont des astres semblables au Soleil et qu’elles pourraient...
  • CYRANO DE BERGERAC SAVINIEN (1619-1655)

    • Écrit par Jeannine ETIEMBLE
    • 1 675 mots
    ...succéder L'Étincelle. Il avait lu Thomas Morus, la Civitas Solis de Campanella, sans doute John Wilkins et Godwin qui circulaient en traduction. Giordano Bruno était son maître, comme de tous les libertins, lui qui fut brûlé vif pour avoir cru à la pluralité des mondes. Et c'est peut-être à l'invite...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...et les conquistadores, que la dimension de l'Univers avait changé et, avec elle, celle de l'homme, il faudra l'intrépidité philosophique et morale de Giordano Bruno, démontrant l'« infinitisation » de l'Univers et abandonnant la sphère des fixes, mais surtout transformant la problématique de la nature,...
  • MICROCOSME ET MACROCOSME

    • Écrit par Hélène VÉDRINE
    • 4 283 mots
    • 1 média
    ...mouvement de la Terre permettait de rendre compte des apparences célestes plus sérieusement que le système de Ptolémée. Enthousiasmé, mais imprudent, Bruno généralisa à l'univers entier ce que Copernic avait seulement admis pour le système solaire. Il montra, en s'appuyant sur la coïncidence des contraires...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi