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BRUNO GIORDANO (1548-1600)

L'infinitisation de l'Univers

La révolution intellectuelle que G. Bruno tenta d'opérer pour repenser les rapports de l'infini et du fini n'est qu'un effort d'unification de la pensée, sans concession à quelque autorité que ce soit.

Aristote avait fondé son finitisme cosmologique sur des arguments rationnels, mais aussi sur des données d' observation. C'est cet attachement aux évidences sensibles que dénonce Bruno. Non qu'il répudie les enseignements de la perception, mais il estime qu'ils doivent être soumis au jugement de l'intellect : « C'est à l'intellect[intelleto]qu'il appartient de juger et de rendre compte des choses que le temps et l' espace éloignent de nous. » Nos sens ne peuvent appréhender que les objets qui sont à leur portée : ils « confessent leur faiblesse [...] en produisant l'apparence d'un horizon fini, apparence d'ailleurs toujours changeante ». C'est ce phénomène d'horizon que Bruno analyse en évoquant, dans un célèbre passage du De immenso et innumerabilibus (1591), un souvenir d'enfance : « Je croyais, écrit-il, qu'il n'y avait plus rien au-delà du Vésuve, car il m'était impossible d'apercevoir quelque chose par-delà. » L'horizon semble enclore dans son confinement circulaire le monde perçu ; pourtant, nos déplacements nous font franchir cette limite, qui n'a donc pas d'existence absolue. Il n'y a pas d'horizon en soi, mais toujours pour un observateur : c'est en quelque sorte le corrélat de la limitation des sens. Le phénomène d'horizon ne cesse d'accompagner les déplacements de l'observateur, qui le situent au centre de sa propre perspective. Ainsi le confinement circulaire de l'horizon perceptif résulte bien de la projection de la finitude de nos sens, et non pas de la structure de l'Univers.

Une telle expérience nous enseigne à la fois la détermination distincte d'une limite et le franchissement de cette limite ; celui-ci suscite en nous la pensée d'une « avancée au-delà » que rien ne peut réprimer ou contenir. Toutefois, cela ne signifie pas que l'idée d'un espace infini soit comme l'aboutissement de cette progression de la pensée qui réitérerait indéfiniment son interrogation sur l'au-delà de la limite. Il y a donc, chez Bruno, une intuition de l'infini qui ne parvient pas à s'expliciter entièrement, l'intuition d'un Univers infini en acte ; et c'est sur le fond de cet infini extensif que se découpe le confinement illusoire de l'horizon. Le franchissement de la limite ne fait que révéler l'infini extensif qui le précède ontologiquement et logiquement. Ainsi le philosophe dégage-t-il peu à peu les enseignements de cette expérience perceptive pour les élever, par abstraction, à la dignité d'une technique argumentative. Si l'idée d'une limite ultime et infranchissable est impensable sans contradiction, Bruno s'appuie sur son impensabilité à la fois pour incliner ses lecteurs vers l'infinitisme et pour réfuter les arguments finitistes.

Cependant, vis-à-vis de ceux-ci, il ne suit pas une simple démarche apagogique ; il entend nous faire découvrir, dans l'intériorité de notre pensée, un infini actuel « infigurable » (comme dit le De immenso) qui conditionne en fait toute notre connaissance. Il a étendu sa réflexion sur les apories de la limitation locale aux dimensions de la cosmologie, en assimilant, semble-t-il, l'œuvre de Copernic à travers une lecture critique et peu orthodoxe d'« un tel savant, désigné par les dieux comme une aurore annonçant le retour du Soleil de l'antique et vraie philosophie ». On passe ainsi de l'horizon local terrestre à l'idée d'un horizon global et, par-delà ce[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, maître de conférences en philosophie à l'Université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Jean SEIDENGART. BRUNO GIORDANO (1548-1600) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ASTRONOMIE

    • Écrit par James LEQUEUX
    • 11 339 mots
    • 20 médias
    ...méthode de calcul des tables des planètes ; ce n'est que lorsque l'on réalisera qu'elle remet en cause la physique d'Aristote que les ennuis commenceront : Giordano Bruno, disciple de Copernic, qui aura l'audace d'émettre l'hypothèse que les étoiles sont des astres semblables au Soleil et qu’elles pourraient...
  • CYRANO DE BERGERAC SAVINIEN (1619-1655)

    • Écrit par Jeannine ETIEMBLE
    • 1 675 mots
    ...succéder L'Étincelle. Il avait lu Thomas Morus, la Civitas Solis de Campanella, sans doute John Wilkins et Godwin qui circulaient en traduction. Giordano Bruno était son maître, comme de tous les libertins, lui qui fut brûlé vif pour avoir cru à la pluralité des mondes. Et c'est peut-être à l'invite...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...et les conquistadores, que la dimension de l'Univers avait changé et, avec elle, celle de l'homme, il faudra l'intrépidité philosophique et morale de Giordano Bruno, démontrant l'« infinitisation » de l'Univers et abandonnant la sphère des fixes, mais surtout transformant la problématique de la nature,...
  • MICROCOSME ET MACROCOSME

    • Écrit par Hélène VÉDRINE
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    ...mouvement de la Terre permettait de rendre compte des apparences célestes plus sérieusement que le système de Ptolémée. Enthousiasmé, mais imprudent, Bruno généralisa à l'univers entier ce que Copernic avait seulement admis pour le système solaire. Il montra, en s'appuyant sur la coïncidence des contraires...
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Voir aussi