Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BRUNO GIORDANO (1548-1600)

Les rapports entre Dieu et l'Univers

L'évolution de la pensée de Bruno jusqu'à ses dernières publications démontre que les quelques résonances transcendantistes qui émaillent certains des dialogues en langue vulgaire sont dues à l'importation d'un vocabulaire néo-platonicien véhiculé tant par l'hermétisme que par Nicolas de Cues et par les textes publiés par Marsile Ficin. En fait, Bruno cherchait, dans tous ces écrits, des philosophèmes lui permettant d'attaquer le péripatétisme officiel. Mais, en incorporant à sa propre pensée certains d'entre eux, il ne faisait que verser du vin nouveau dans de vieilles outres, laissant ainsi planer toutes sortes de malentendus. En revanche, dans les textes (plutôt rares) où il s'exprime d'une manière plus univoque, se dessine assez clairement sa propre conception de Dieu. Tout d'abord, il rejette vigoureusement le dualisme Créateur/créature, où Dieu intervient pour agir « du dehors » sur l'Univers : « Dieu n'est pas une intelligence extérieure[exterior]faisant tourner d'un mouvement circulaire [l'Univers] ; car il doit être plus digne de lui d'être principe interne de mouvement[internum principium motus]qui est la nature propre, l'espèce propre, l'âme propre que possèdent, tous autant qu'ils sont, les êtres qui vivent en son sein et en son corps. » Puisque Copernic a immobilisé la sphère des fixes, la nouvelle cosmologie n'a donc que faire d'un premier moteur « extérieur », dont l'existence avait été posée, du reste, pour les seuls besoins de la représentation que se faisaient du cosmos l'Antiquité et le Moyen Âge. En outre, on ne trouvera pas chez Bruno la trace d'un Dieu personnel ayant librement créé ex nihilo l'Univers puis envoyé son Fils pour nous sauver. Pas plus que celui des péripatéticiens, le Dieu de Bruno n'est celui de la révélation biblique. C'est un Dieu de philosophe, caractérisé à la fois par son unité et par son immanence totale au sein de l'Univers infini. Le vaste De immenso (1591), véritable testament philosophique, s'achève au livre VIII sur un chapitre consacré à l'« Unité divine » où l'auteur précise : « Dieu est infini dans l'infini, partout en toutes choses, ni au-dessus ni à l'extérieur mais totalement intime à toutes choses[non supra, non extra, sed praesentissimum]. » Bruno avait rejeté la transcendance des essences affirmée par les platoniciens, afin de préparer le terrain à son monisme immanentiste. Sa théologie est solidaire de son ontologie et de sa cosmologie. Il nous met en garde contre toute tentation de séparer la « nature des êtres naturels, la bonté de ce qui est bon et l'entité des étants ». D'où ses attaques contre toute forme de transcendance, démiurgique ou non : « Il n'existe pas d'artisan[formator]qui préside d'en haut, et qui de l'extérieur ordonne[digerat]et façonne[figuret][tout]. » En réalité, l'Unité divine façonne l'Univers de l'intérieur (ab internis) ; c'est une sorte d'« art vivant ». La fiction de la transcendance divine découle d'une conception plaçant l'artisan à l'extérieur d'une matière qui lui est étrangère et à laquelle il vient imposer son art. Or rien ne peut être extérieur à l'Univers infini, puisque son infinité même implique précisément qu'il n'ait pas d'Autre. Aussi la théologie brunienne s'oppose-t-elle à cet artificialisme démiurgique pour suivre la voie du vitalisme naturaliste : « L'art est extérieur à la matière ; la nature est à l'intérieur[interior]de la matière. [...] La nature agit plus intimement en toutes choses que celles-ci ne sont intimes à elles-mêmes, et elle est principe de l'être, source de toutes[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de philosophie, maître de conférences en philosophie à l'Université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Jean SEIDENGART. BRUNO GIORDANO (1548-1600) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ASTRONOMIE

    • Écrit par James LEQUEUX
    • 11 339 mots
    • 20 médias
    ...méthode de calcul des tables des planètes ; ce n'est que lorsque l'on réalisera qu'elle remet en cause la physique d'Aristote que les ennuis commenceront : Giordano Bruno, disciple de Copernic, qui aura l'audace d'émettre l'hypothèse que les étoiles sont des astres semblables au Soleil et qu’elles pourraient...
  • CYRANO DE BERGERAC SAVINIEN (1619-1655)

    • Écrit par Jeannine ETIEMBLE
    • 1 675 mots
    ...succéder L'Étincelle. Il avait lu Thomas Morus, la Civitas Solis de Campanella, sans doute John Wilkins et Godwin qui circulaient en traduction. Giordano Bruno était son maître, comme de tous les libertins, lui qui fut brûlé vif pour avoir cru à la pluralité des mondes. Et c'est peut-être à l'invite...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...et les conquistadores, que la dimension de l'Univers avait changé et, avec elle, celle de l'homme, il faudra l'intrépidité philosophique et morale de Giordano Bruno, démontrant l'« infinitisation » de l'Univers et abandonnant la sphère des fixes, mais surtout transformant la problématique de la nature,...
  • MICROCOSME ET MACROCOSME

    • Écrit par Hélène VÉDRINE
    • 4 283 mots
    • 1 média
    ...mouvement de la Terre permettait de rendre compte des apparences célestes plus sérieusement que le système de Ptolémée. Enthousiasmé, mais imprudent, Bruno généralisa à l'univers entier ce que Copernic avait seulement admis pour le système solaire. Il montra, en s'appuyant sur la coïncidence des contraires...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi