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FOYERS DE CULTURE

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Vers un universalisme chrétien : le cénacle de La Chênaie

Le mouvement humaniste n'était certes pas majoritaire dans le pays ni dans l'Université du xvie siècle, mais il représentait une minorité active, soutenue par le roi et la cour. Il s'agissait d'un foyer de culture privilégié, alors qu'il arrive souvent que les contours soient moins nets, l'institution plus précaire. Le cénacle de La Chênaie est marqué dès le début par le sentiment d'appartenir à une minorité qui ne peut se défendre qu'en soutenant une guerre de siège contre un environnement hostile, à la manière de Port-Royal deux cents ans plus tôt.

À l'origine, il y a le grand projet de Lamennais : fonder un nouvel ordre qui utiliserait toutes les formes de la culture moderne pour orienter les sociétés du xixe siècle vers un universalisme chrétien. Cette congrégation de Saint-Pierre entendait restaurer côte à côte la théologie et la philosophie chrétiennes, en s'appuyant sur une vaste enquête sur les sociétés modernes étudiées à travers leurs littératures. Le noviciat du futur ordre, localisé à Malestroit, était confié à Jean-Marie de Lamennais, le frère de Félicité, qui ouvrait à La Chênaie une sorte de vestibule de l'ordre, où il recevait et commençait à former des jeunes gens. Projet strictement religieux à l'origine, mais qui, du fait de la personnalité du réalisateur, va prendre tout de suite une orientation culturelle. La correspondance du plus célèbre des pensionnaires de La Chênaie, Maurice de Guérin, permet de suivre pas à pas le déroulement du programme : l'un des moniteurs fait des recherches sur Dante, un autre sur Calderón, d'autres sur Milton, sur les poètes lakistes anglais, sur les romantiques allemands, sur Mickiewicz... Tout se passe comme si Lamennais avait voulu, en prouvant le mouvement par la marche, valider les théories du Génie du christianisme sur les classiques chrétiens qui, dans l'avenir, devraient faire contrepoids aux classiques de l'Antiquité païenne. Chacun était mis à contribution pour mener à bien cette ambitieuse enquête qui devait éveiller chez ceux qui la menaient un sentiment d'appartenance à la civilisation de l'Europe chrétienne, grâce à l'exploration de littératures étrangères rattachées à un tronc commun.

À une époque où seules les langues anciennes étaient réellement enseignées, on s'attaquait aussi à l'étude des langues modernes pour mieux comprendre les auteurs. À Malestroit, on allait jusqu'à interdire l'usage du français pendant les promenades en utilisant les connaissances de quelques novices ou d'étrangers de passage, pour en faire des moniteurs d'exercices pratiques de langues. Le fait d'avoir travaillé avec les moyens du bord ne diminue pas le mérite de ces pionniers de la réconciliation des cultures. Nous sommes en effet en présence d'un des premiers programmes de littérature comparée jamais expérimentés en Europe, lié à une profonde prise de conscience de l'identité européenne. Ajoutons que Lamennais élargissait encore le cercle à l'œcuménisme culturel prôné par Chateaubriand en l'étendant jusqu'à l'Extrême-Orient. C'est à l'un de ses disciples les plus proches, Eugène Boré, étudiant en langues orientales avant de devenir rédacteur du Journal asiatique, qu'il allait confier l'étude des littératures et religions d'Asie.

La courte durée du cénacle mennaisien, la dispersion des disciples après sa condamnation par Rome, la confusion qui s'est ensuivie, tout pouvait faire croire à une extinction pure et simple. Le temps du phalanstère était passé. Mais il suffit de regarder de près les carrières des survivants de La Chênaie pour trouver deux supérieurs d'ordres, des prêtres, un évêque, des journalistes, des enseignants,[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

Classification

Pour citer cet article

Gilbert GADOFFRE. FOYERS DE CULTURE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Médias

<it>Une lecture chez Madame Geoffrin</it>, A.C.G. Lemonnier - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture chez Madame Geoffrin, A.C.G. Lemonnier

<it>L'Atelier de Bazille</it>, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

L'Atelier de Bazille, F. Bazille

<it>Le Bain turc</it>, J. D. A. Ingres - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Le Bain turc, J. D. A. Ingres

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    Sylvia Beach fut, avec Adrienne Monnier, l'une des grandes figures de la vie littéraire parisienne, en particulier dans les années 1920, lorsque sa librairie offrait aux écrivains expatriés un lieu de rencontre et accueillait les auteurs français qui découvraient un nouveau continent, la littérature...

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