Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FOYERS DE CULTURE

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Une civilisation de la conversation : les salons

Les lumières du Versailles culturel de Louis XIV étaient à peine éteintes que les salons reprenaient à Paris le rôle qui avait été le leur au début du xviie siècle. Non que l'hôtel de Rambouillet ait été le premier salon littéraire. On peut trouver dès le milieu du xvie siècle, et même en province, des embryons de salons qui attirent les lettrés et créent une certaine convivialité culturelle. Mais Catherine de Vivonne-Pisani, donnée en mariage à douze ans au vidame de Chartres, devenu à la mort de son père marquis de Rambouillet, commencera très tôt à vouloir organiser à l'hôtel Pisani, qu'elle tenait en dot de sa mère, un appartement de réception agréable, fait de grandes chambres en enfilade très bien éclairées. La décision de situer sa vie sociale en retrait est liée, chez cette jeune femme de vingt ans, à sa répulsion pour le langage et les manières des courtisans du Louvre de Louis XIII. Elle décide de ne plus fréquenter qu'une société choisie par elle. Ce principe de sélection qualitative va la conduire vers une formule originale de microsociété, composée pour une moitié de gens du monde et de grands seigneurs, et pour l'autre de gens d'esprit et d'écrivains, deux groupes sociaux n'ayant ni l'habitude ni le goût de vivre ensemble. Mais la conversation bien conduite suscitera l'entente intellectuelle.

Les visiteurs de la jeune marquise étaient la duchesse de Longueville, le duc d'Enghien, Mme de La Fayette, le duc de La Rochefoucauld, Saint-Évremont, Mme de Sévigné, et aussi les Scudéry, Gombauld, Malherbe, Vaugelas, Guez de Balzac, Chapelain, Voiture, Rotrou, et parfois Corneille. Commencées un peu avant 1620, les réunions se poursuivront jusqu'au milieu du siècle. Par l'ascendant qu'elle tenait de son intelligence, de sa beauté et de son tact, Catherine de Rambouillet a su s'imposer dans ce rôle, en orientant ses hôtes vers des sujets de conversation et un langage conformes aux préférences féminines : des événements récents, un livre dont on parle, un poème en vogue, et surtout cette casuistique amoureuse toujours chérie par les assemblées féminines, depuis les cours d'amour du xiie siècle jusqu'aux partenaires de Marguerite de Navarre. Le peu que nous savons de cette casuistique permet de saisir à quelle profondeur un roman à succès est capable de colorer l'imaginaire d'une génération de lecteurs. On trouve, à tout moment, l'empreinte de L'Astrée, avec ses guerriers fidèles et ses tendres bergers toujours prêts à disserter dans un cadre bucolique, au milieu de ruisseaux murmurants.

Il faut souligner que pour Mme de Rambouillet le sentiment et le panache sont intimement liés à un langage où la censure féminine était, là encore, souveraine. Les mots, les objets, les situations vulgaires ou communes sont prohibés, ou sublimés par des métaphores. L'univers langagier des précieuses, dont Molière n'a donné qu'une caricature, et les jeux de société des salons – devinettes, portraits, petits papiers, maximes – n'en ont pas moins suscité La Princesse de Clèves ou les Maximes de La Rochefoucauld, chefs-d'œuvre auxquels il faudrait ajouter les galeries de portraits des Mémoires du cardinal de Retz et, dans une certaine mesure, les dialogues des personnages de Racine.

C'est avec la Régence, amplifiant le repli sur Paris qu'avait amorcé Philippe d'Orléans du vivant même de Louis XIV, que les salons parisiens vont reprendre vie et, vers le milieu du xviiie siècle, drainer une partie importante de la conversation intellectuelle parisienne. Mais cette fois il n'y a plus de barbarie de cour à fustiger ni d'égards pour les femmes à revendiquer. La langue française classique a atteint son profil d'équilibre, les mœurs polies sont[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

Classification

Pour citer cet article

Gilbert GADOFFRE. FOYERS DE CULTURE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Médias

<it>Une lecture chez Madame Geoffrin</it>, A.C.G. Lemonnier - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture chez Madame Geoffrin, A.C.G. Lemonnier

<it>L'Atelier de Bazille</it>, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

L'Atelier de Bazille, F. Bazille

<it>Le Bain turc</it>, J. D. A. Ingres - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Le Bain turc, J. D. A. Ingres

Autres références

  • BEACH SYLVIA (1887-1962)

    • Écrit par
    • 607 mots

    Sylvia Beach fut, avec Adrienne Monnier, l'une des grandes figures de la vie littéraire parisienne, en particulier dans les années 1920, lorsque sa librairie offrait aux écrivains expatriés un lieu de rencontre et accueillait les auteurs français qui découvraient un nouveau continent, la littérature...

  • BERLIN (foyer culturel)

    • Écrit par
    • 4 420 mots
    • 4 médias
    Certes, Berlin-Ouest et Berlin-Est, dans leur fusion, forment un exceptionnel foyer de culture : trois opéras, chacun avec ses propres musiciens et son corps de ballet ; trois salles de concert, accueillant les chefs d’orchestre les plus talentueux ; une trentaine de théâtres ; une centaine de musées....
  • PARIS ÉCOLES DE

    • Écrit par
    • 2 622 mots
    • 1 média
    ...du xxe siècle. À cette époque, et notamment grâce aux expositions universelles qui l'ont consacrée Ville Lumière, Paris représentait le premier foyer culturel et intellectuel mondial. Les artistes étrangers ont été très nombreux à venir y chercher un esprit de liberté. Il s'agissait non...