ÉPOPÉE, notion d'
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Dans la tradition classique, l'épopée, long poème narratif consacré à glorifier un héros par le récit de ses actions, est considérée comme le grand genre poétique. Les œuvres majeures de la littérature grecque et latine sont des épopées, qui vont devenir le prototype du genre : L'Iliade (viiie s. av. J.-C.) d'Homère et L'Énéide (29-17 av. J.-C.) de Virgile. Elles se caractérisent par le « style soutenu », comme y insiste Aristote dans sa Poétique (env. 340 av. J.-C.), et les Latins lui consacrent une métrique particulière : le versus heroicus. Aussi les termes de « poésie épique » et de « poésie héroïque » peuvent-ils être tenus pour équivalents.
La Poétique s'intéresse à l'épopée et à la tragédie selon le même point de vue : il s'agit dans les deux cas d'une « imitation[mimèsis]de l'action », soit par les personnages sur la scène, soit par le récit (diégèsis) dans le poème. Mais les deux genres ne sont pas traités à égalité : dans sa conclusion, Aristote marque nettement la supériorité de la poésie dramatique et, dans plusieurs passages décisifs, sur l'importance de l'histoire (au sens de fiction, mise en intrigue : muthos), ou sur la qualité de l'expression (lexis), il se contente de prélever à la poésie épique des exemples pour une analyse plus générale. Seuls les derniers chapitres sont spécifiquement consacrés à l'épopée (23-25), et à une défense vigoureuse d'Homère, auquel Aristote voue une admiration totale. Ce parti pris se fait au détriment d'autres formes : la comédie et le lyrisme (la poésie amoureuse).
Merveilleux païen, merveilleux chrétien
Quasi oubliée au Moyen Âge, l'œuvre d'Aristote est redécouverte par les humanistes italiens de la Renaissance – c'est-à-dire bien après qu'a commencé de s'imposer, dans les différentes langues européennes, une littérature vernaculaire. À suivre les principes aristotéliciens , La Divine Comédie (1304-1320) de Dante ne semble pas digne d'être comparée à L'Iliade puisqu'elle ignore notamment la règle de l'unité de l'action et que son « héros » n'est autre que l'auteur lui-même. Les générations nouvelles se font un défi de concilier l'originalité de leur création avec le respect du modèle antique : très consciemment, le Tasse se revendique aristotélicien dans le Discours de la poésie héroïque (1594) – comme le feront au siècle suivant les tragédiens français – et c'est au nom de la « vraisemblance », concept clé de la Poétique, qu'il rejette les sujets païens, dont le merveilleux n'est plus crédible pour justifier le projet d'une épopée chrétienne, c'est-à-dire moderne, dont il a donné le chef-d'œuvre avec La Jérusalem délivrée (1581).
Il semblait naturel en effet pour un poète chrétien d'associer la grandeur épique non plus aux grandeurs factices du paganisme, mais à celle de la « vraie religion » : ainsi l'extraordinaire et le merveilleux devenaient les signes de l'action divine. Or on sait qu'en France les classiques ont fait un tout autre choix : c'est que, dans un siècle devenu raisonnable, on a redouté la confusion du surnaturel avec la « machine », l'artifice de théâtre – Boileau réservant à la littérature, dans son Art poétique (1674), le merveilleux mythologique, c'est-à-dire la convention (« Fable » ou fiction) subsumée dans l'allégorie. La « dissociation du profane et du sacré », selon Paul Bénichou, « peut-être le caractère le plus profond du classicisme français » (Morales du grand siècle, 1948), donnait un coup d'arrêt aux efforts des Chapelain (La Pucelle d'Orléans, 1656), Le Moyne (Saint Louis ou le héros chrétien, 1653), Godeau (Saint Paul[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2
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