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COURBET GUSTAVE (1819-1877)

Autour de 1848

Malgré ses convictions républicaines et ses relations avec des écrivains progressistes comme Champfleury, qui élabore sa théorie du « réalisme » littéraire et pictural, Courbet ne participe pas directement à l'action révolutionnaire de 1848. Ou plutôt il le fait en peintre. On dirait que l'accélération historique précipite sa propre évolution, le débarrasse des dernières traces de romantisme factice, le confirme dans son besoin de franchise et dans son goût du réel : la réalité sociale, dont l'image prend, à la lumière des événements, une indéniable dimension politique ; mais aussi tous les sujets qui, dans le registre du visible, parlent à sa sensibilité... C'est ainsi qu'aux Salons de 1849 puis de 1850, 1852 et 1853, des portraits et des paysages « purs » voisinent avec les œuvres célèbres où Courbet exprime sa vision de la société contemporaine : l'Après-Dînée à Ornans (musée des Beaux-Arts, Lille), Les Paysans de Flagey revenant de la foire (original disparu ; une répétition se trouve au musée des Beaux-Arts de Besançon), Un enterrement à Ornans (musée d'Orsay), Les Casseurs de pierre (autrefois à Dresde, détruit), Les Demoiselles de village (Metropolitan Museum, New York), Les Lutteurs (Musée des beaux-arts, Budapest), auxquels il faut notamment ajouter la grande ébauche inachevée des Pompiers (1850-1851, Petit Palais, Paris), et, dans les années suivantes, Les Cribleuses de blé (1854, musée des Beaux-Arts, Nantes), Les Demoiselles des bords de la Seine (1856-1857, Petit Palais, Paris), enfin et surtout le grand Atelier de 1855 (musée d'Orsay).

<em>Révolutionnaire sur une barricade</em>, G. Courbet - crédits : Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Révolutionnaire sur une barricade, G. Courbet

<it>L'Atelier du peintre</it>, G. Courbet - crédits : Mondadori Portfolio/ Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

L'Atelier du peintre, G. Courbet

Cette vision se caractérise d'abord par son objectivité. Elle enregistre, avec un mélange de clairvoyance et de détachement, des phénomènes profondément significatifs : la pesanteur et la monotonie du travail manuel, le divorce de l'homme moderne et de la nature et le besoin correspondant de « loisirs », l'isolement de l'individu dans la collectivité, le rituel mécanique réglant les actes de la vie collective... Courbet n'a sûrement pas lu Marx, dont le Manifeste du parti communiste date de 1848, mais l'Enterrement, les Pompiers, l'Atelier imposent la notion de classe sociale ; le labeur brutal des « lutteurs » de 1853, leur musculature offerte à la consommation du public sont l'image même de l'aliénation.

Les sujets n'ont rien d'inédit, certains sont même fréquents dans la peinture et surtout dans la gravure depuis une quinzaine d'années, mais Courbet en renouvelle le traitement de fond en comble : aucune concession au pittoresque ou à la fausse pompe, une totale sobriété dans les expressions et les accessoires, une sorte d'ampleur athlétique dans le respect du motif. La palette est généralement sombre et austère ; la facture, savoureuse, évite la virtuosité. Au lieu de petits formats, de vastes toiles et des figures grandeur nature, auxquelles le spectateur est en quelque sorte confronté physiquement. La saveur nouvelle d'un tel art tient à cette brusque promotion du prosaïque, de l'insignifiant. Courbet confère à la représentation de l'homme du commun, de l'expérience banale, une présence et une dignité réservées jusqu'alors aux seuls héros de l'Histoire (quelques années auparavant, Baudelaire ébauchait, dans son Salon de 1846, sa définition de « l'héroïsme de la vie moderne »). Démarche, si l'on veut, démocratique – encore que les figurants de l'Après-dînée et de l'Enterrement appartiennent à la petite bourgeoisie rurale et non au prolétariat –, mais dont il convient de souligner qu'elle n'est pas l'illustration directe d'une idéologie.

Il n'en fallait pas plus pour scandaliser : la critique conservatrice reprocha à Courbet de peindre sale, de cultiver la laideur,[...]

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Pour citer cet article

Pierre GEORGEL. COURBET GUSTAVE (1819-1877) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Révolutionnaire sur une barricade</em>, G. Courbet - crédits : Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Révolutionnaire sur une barricade, G. Courbet

<it>L'Atelier du peintre</it>, G. Courbet - crédits : Mondadori Portfolio/ Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

L'Atelier du peintre, G. Courbet

<it>La Roche percée d'Étretat</it>, G. Courbet - crédits :  Bridgeman Images

La Roche percée d'Étretat, G. Courbet

Autres références

  • L'ATELIER DU PEINTRE (G. Courbet)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 197 mots
    • 1 média

    L'Exposition universelle de 1855, à Paris, qui succède à celle de Londres, en 1851, fut une manifestation exceptionnelle, en grande partie grâce à sa section artistique. Remplaçant le traditionnel Salon, celle-ci était consacrée à tous les artistes vivants, français et étrangers, et n'était...

  • COURBET ET SON PUBLIC - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 542 mots

    1848 Gustave Courbet (1819-1877), qui exposait au Salon depuis 1844 sans vraiment y percer, est cette année-là remarqué avec Le Violoncelliste, 1847, Stockholm Nationalmuseum.

    1849 L'Après-Dînée à Ornans remporte au Salon un succès d'estime (la toile est appréciée à la fois par Ingres...

  • GUSTAVE COURBET (exposition)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 1 107 mots

    En 1977-1978, une rétrospective mémorable des Galeries nationales du Grand Palais avait été consacrée à Gustave Courbet. Fallait-il, une génération plus tard, en organiser une autre au même endroit et selon des principes analogues, c'est-à-dire le rassemblement de l'essentiel de son œuvre ? On...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...appelé désormais à jouer un rôle croissant dans l'interprétation d'une image. Sa tension entre deux registres distincts se retrouve notamment, en 1855, dans l'Atelier du peintre de Gustave Courbet (Paris, musée d'Orsay), dans lequel un modèle féminin, nu, occupe une position centrale, propre à inspirer...
  • AUTOPORTRAIT, peinture

    • Écrit par Robert FOHR
    • 3 573 mots
    • 6 médias
    ...d'Émile Bernard, 1888, musée Van Gogh, Amsterdam, et E. Bernard, Autoportrait avec le portrait de Gauguin, 1888, ibid. À cet égard, la démarche de Courbet dans L'Atelier (1855, musée d'Orsay) est significative : portrait de groupe(s), « allégorie réelle » de la situation des arts au tournant...
  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...condition qu'on n'oublie pas que dans toute œuvre d'art les deux démarches sont associées. Dans une œuvre aussi réaliste que Les Casseurs de pierres de Courbet (1850 ; tableau détruit, anciennement au musée de Dresde), la métaphore de la vie humaine (la lourde pierre portée par le garçonnet, qui va...
  • CAFÉS LITTÉRAIRES

    • Écrit par Gérard-Georges LEMAIRE
    • 7 712 mots
    • 3 médias
    À fin des années 1840, Gustave Courbet, qui s'est installé rue de Hautefeuille, fréquente la Brasserie Andler-Keller sise à l'angle de la rue de l'École-de-Médecine. Selon le champion de l'école réaliste naissante, Jules Castagnary, il s'agit là de « l'annexe de son atelier ». C'est peut-être...
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Voir aussi