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COURBET GUSTAVE (1819-1877)

Sincérité et « naïveté »

Cette personnalité massive et délicate, lucide et ingénue, fraternelle et naïvement jouisseuse, s'apparente à celle d'un Hugo ou d'un Michelet : comme eux, Courbet embrassa généreusement le mouvement des idées et des sensibilités du siècle, et perçut comme un tout les phénomènes sociaux et l'« histoire naturelle » des éléments. Les arguments de la critique, qui le harcela d'une hostilité mesquine ou ne l'approuva que de façon partielle et partiale, sont, au fond, hors de propos.

Il a été déconcertant de sincérité, n'hésitant pas à se contredire en apparence par refus des idées reçues, avec une foi toute romantique en l'émotion, son guide presque infaillible. Cet homme que la légende décrit comme un hâbleur de brasseries porte dans sa peinture une horreur intransigeante du mensonge. Il aime mieux paraître gauche ou négligent, se voir reprocher ses « erreurs » de perspective et d'anatomie, la raideur et l'âpreté de ses figures, que de s'en remettre à des formules. L'Enterrement, l'Atelier ou le Pique-nique évitent de sacrifier la vérité de chaque personnage à la recherche d'un effet d'ensemble ; Les Paysans de Flagey, La Sieste pendant la saison des foins (1867, Petit Palais, Paris) procèdent par juxtaposition et accumulation de détails, dans une sorte de tâtonnement qui annonce un peu la démarche cézannienne. Cette « naïveté » fièrement assumée explique à elle seule les reproches de laideur, d'excentricité, de démesure, qui n'ont cessé d'accompagner un œuvre salubre. La haine de classe, si virulente à l'égard de Courbet, reste secondaire auprès de cette donnée primordiale.

Malgré tout, sa technique – abusivement isolée – a été l'aspect le moins contesté de son œuvre. Sans doute un critique idéaliste comme Gustave Planche le jugeait-il trop « matériel », mais Baudelaire traduit un sentiment assez général quand il salue, en 1862, son « amour désintéressé, absolu, de la peinture », et, à partir de 1880 environ, chacun ou presque convient qu'il est « un bon ouvrier ». Mais cet éloge est un blâme déguisé. « La nature, déclare un critique en 1891, déroule devant les yeux du promeneur une suite d'images sans poses... Il faut corriger par un travail intellectuel les erreurs de la nature. Ce travail, Courbet dédaigna presque toujours de le faire » (A. de Lostalot, cité par J.-P. Sanchez). En 1912 encore, Gleizes et Metzinger, dans leur manifeste Du Cubisme, déplorent qu'il ait accepté « sans nul contrôle intellectuel ce que sa rétine lui communiquait »... On reconnaît ici, et la critique de style jouxte la critique de classe, la vieille opposition académique entre manuels et intellectuels, « arts mécaniques » et « arts libéraux », l'artisan et l'artiste. À cela Courbet répond lui-même dans l'Atelier, en se présentant à la fois comme un artisan et comme un inspiré. Il met en évidence la palette chargée de couleurs, les pinceaux et le couteau du « maître peintre » ; mais, en peignant un paysage de mémoire et non d'après nature, il rappelle l'importance de l'« idée ». Actif et serein au milieu de la foule prostrée, il affirme solennellement la fonction première de la peinture : donner à voir et à rêver.

— Pierre GEORGEL

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Pour citer cet article

Pierre GEORGEL. COURBET GUSTAVE (1819-1877) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Révolutionnaire sur une barricade</em>, G. Courbet - crédits : Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Révolutionnaire sur une barricade, G. Courbet

<it>L'Atelier du peintre</it>, G. Courbet - crédits : Mondadori Portfolio/ Hulton Fine Art Collection/ Getty Images

L'Atelier du peintre, G. Courbet

<it>La Roche percée d'Étretat</it>, G. Courbet - crédits :  Bridgeman Images

La Roche percée d'Étretat, G. Courbet

Autres références

  • L'ATELIER DU PEINTRE (G. Courbet)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 197 mots
    • 1 média

    L'Exposition universelle de 1855, à Paris, qui succède à celle de Londres, en 1851, fut une manifestation exceptionnelle, en grande partie grâce à sa section artistique. Remplaçant le traditionnel Salon, celle-ci était consacrée à tous les artistes vivants, français et étrangers, et n'était...

  • COURBET ET SON PUBLIC - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 542 mots

    1848 Gustave Courbet (1819-1877), qui exposait au Salon depuis 1844 sans vraiment y percer, est cette année-là remarqué avec Le Violoncelliste, 1847, Stockholm Nationalmuseum.

    1849 L'Après-Dînée à Ornans remporte au Salon un succès d'estime (la toile est appréciée à la fois par Ingres...

  • GUSTAVE COURBET (exposition)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 1 107 mots

    En 1977-1978, une rétrospective mémorable des Galeries nationales du Grand Palais avait été consacrée à Gustave Courbet. Fallait-il, une génération plus tard, en organiser une autre au même endroit et selon des principes analogues, c'est-à-dire le rassemblement de l'essentiel de son œuvre ? On...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...appelé désormais à jouer un rôle croissant dans l'interprétation d'une image. Sa tension entre deux registres distincts se retrouve notamment, en 1855, dans l'Atelier du peintre de Gustave Courbet (Paris, musée d'Orsay), dans lequel un modèle féminin, nu, occupe une position centrale, propre à inspirer...
  • AUTOPORTRAIT, peinture

    • Écrit par Robert FOHR
    • 3 573 mots
    • 6 médias
    ...d'Émile Bernard, 1888, musée Van Gogh, Amsterdam, et E. Bernard, Autoportrait avec le portrait de Gauguin, 1888, ibid. À cet égard, la démarche de Courbet dans L'Atelier (1855, musée d'Orsay) est significative : portrait de groupe(s), « allégorie réelle » de la situation des arts au tournant...
  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...condition qu'on n'oublie pas que dans toute œuvre d'art les deux démarches sont associées. Dans une œuvre aussi réaliste que Les Casseurs de pierres de Courbet (1850 ; tableau détruit, anciennement au musée de Dresde), la métaphore de la vie humaine (la lourde pierre portée par le garçonnet, qui va...
  • CAFÉS LITTÉRAIRES

    • Écrit par Gérard-Georges LEMAIRE
    • 7 712 mots
    • 3 médias
    À fin des années 1840, Gustave Courbet, qui s'est installé rue de Hautefeuille, fréquente la Brasserie Andler-Keller sise à l'angle de la rue de l'École-de-Médecine. Selon le champion de l'école réaliste naissante, Jules Castagnary, il s'agit là de « l'annexe de son atelier ». C'est peut-être...
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Voir aussi