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SPINOZA BARUCH (1632-1677)

Le spinozisme aux XVIIe et XVIIIe siècles

Le destin du spinozisme est l'un des plus étranges qui soient. Parce que cette philosophie a été reconnue depuis le xixe siècle comme étant l'une des plus grandes, parce qu'il est avéré qu'elle a marqué profondément la Naturphilosophie chez Schelling, la philosophie du vouloir-vivre chez Schopenhauer, l'idéalisme panthéiste de Schelling à Hegel, et même la nouvelle éthique de Nietzsche ; parce que, en outre, les études spinozistes furent très fécondes en France depuis le début du xxe siècle sous la plume de divers spiritualistes, on a peine à imaginer ce que fut le sort du spinozisme au xviie et au xviiie siècle. Tout s'est passé comme si la plupart des philosophes de ce temps s'étaient rencontrés pour haïr Spinoza en le nommant ou pour l'utiliser sans le nommer. On ne sait d'ailleurs de quoi l'on doit s'étonner le plus : de l'universalité de la haine qui le vise au xviie siècle ou de l'universalité de l'utilisation silencieuse que l'on fait de son œuvre au xviiie siècle ?

De son vivant, la situation n'était pas meilleure, puisque ses seuls disciples furent quelques rares amis plus soucieux de fonder leur libéralisme protestant que de comprendre et de répandre pour elle-même sa doctrine. Par ailleurs, les juifs l'excommuniaient et les catholiques, par Malebranche, jetaient sur lui l'anathème, tandis que l'orthodoxie protestante, par Leibniz, souhaitait pour lui la prison et pour ses œuvres l'autodafé. Comme il eut en outre à essuyer une tentative d'assassinat, Spinoza est, avec Socrate et Giordano Bruno, l'un des rares philosophes pour lesquels la mort effective était le prix à payer pour l'exercice de la pensée libre.

Mais en quoi consistait donc, d'une façon spécifique, le danger proprement spinoziste ?

L'introduction du spinozisme en France

Le danger représenté par le spinozisme apparaît dans sa spécificité dès les premiers contacts de cette doctrine avec la pensée française. Avant 1670, date de la publication anonyme du Tractatus theologico-politicus, le libertinage érudit est déjà sensible au prestige naissant du spinozisme et marque ainsi la vraie nature du danger : il s'agit de l' athéisme. Déhénault fait le voyage de Hollande vers 1668 pour rencontrer Spinoza à Rijnsburg, et Saint-Evremond, autre libertin épicurien qui fut le premier grand admirateur de Spinoza, se rend à Voorburg vers 1669. Ces sympathies furent aussi révélatrices qu'exceptionnelles. Si l'on ajoute à cela la publication en 1673 d'un ouvrage sur La Religion des Hollandais par le lieutenant-colonel Jean-Baptiste Stoppa (ou Stouppe), un commandant d'armes de Louix XIV en Hollande, ouvrage dénonçant violemment l'impiété de la nouvelle philosophie (qui conteste, on le sait, le caractère sacré des Écritures, leur authenticité, la valeur des miracles et des prophéties, et enfin la providence d'un Dieu transcendant), on saisira dans quelles dispositions d'esprit l'Europe chrétienne allait accueillir ce qu'on allait appeler bientôt le « nouvel athéisme ».

Il est vrai que seuls semblent encore concernés des cercles restreints de catholiques monarchistes en France et de calvinistes en Hollande, ainsi que les théologiens cartésiens des Provinces-Unies. C'est à autre chose encore que Spinoza doit son immédiate et sombre célébrité : à l'hypothétique entrevue d'Utrecht avec le prince de Condé en 1673. Par la politique, la guerre et l'accusation de trahison, Spinoza sortira de l'ombre, mais avec une auréole sinistre. Quant au contenu doctrinal de son œuvre, il est important de reconnaître que les Français ont découvert et reconnu Spinoza avant les Allemands, et que ce furent d'abord les libertins (comme Déhénault,[...]

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Pour citer cet article

Robert MISRAHI. SPINOZA BARUCH (1632-1677) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Baruch Spinoza - crédits : AKG-images

Baruch Spinoza

Autres références

  • ÉTHIQUE, Baruch Spinoza - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 800 mots
    • 1 média

    Rédigée entre 1661 et 1675, publiée de façon posthume et quasi anonymement, en 1677, l'année de la mort de son auteur, interdite avec le reste des écrits du philosophe en 1678, l'Éthique(Ethica ordine geometrico demonstrata) est une des œuvres majeures de la philosophie occidentale....

  • TRAITÉ THÉOLOGICO-POLITIQUE, Baruch Spinoza - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre-François MOREAU
    • 1 024 mots
    • 1 média

    Spinoza (1632-1677) commence sans doute la rédaction du Tractatus theologico-politicus (TTP) en 1665, à cause, écrit-il dans une lettre, des théologiens qui le traitent d'athée. Il entreprend donc de critiquer leurs préjugés et de défendre la liberté de philosopher. Il est conduit pour...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...animé par lui-même –, elles sont, pour Descartes, le seul moyen de connaissance, confus et obscur, de ce que nous sommes facticement. C'est à ce titre que Spinoza critiquera la doctrine, alléguant que cette connaissance n'est confuse que parce qu'elle est mutilée, et qu'elle n'est qu'un cas particulier de...
  • ÂME

    • Écrit par Pierre CLAIR, Henri Dominique SAFFREY
    • 6 020 mots
    ...rationnelle, venant de Dieu, et l'âme engendrée, commune aux hommes et aux animaux. Hobbes interprétera ledit souffle dans le sens d'une dominante matérielle. Spinoza semblerait ne pas attacher trop d'importance au principe et à la finalité de la notion d'âme. Il considère bien comme distinctes l'âme et...
  • ASÉITÉ

    • Écrit par Marie-Odile MÉTRAL-STIKER
    • 829 mots

    Appartenant strictement à la langue philosophique, le terme « aséité », qui évoque inévitablement la causa sui de Spinoza, désigne la propriété de ce qui a sa propre raison d'être en soi-même et n'est pas relatif à un autre pour ce qui est de son existence. Sur ce sens général,...

  • BIEN, philosophie

    • Écrit par Monique CANTO-SPERBER
    • 6 623 mots
    • 1 média
    Dans le Traité de la réforme de l'entendement (1677), Spinoza dit rechercher « cet objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l'âme, renonçant à tout autre, fût affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie...
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