RATIONALISTE ARCHITECTURE
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Principes rationalistes du « mouvement moderne »
La doctrine rationaliste, solidement édifiée par deux siècles d'efforts théoriques, se cristallisera dans les formes au xxe siècle, alors qu'elle ne connaîtra d'apports nouveaux que dans deux directions : le rapport de l'architecture à l'industrie et ses liens avec le développement des villes.
Paradoxalement, c'est d'un esthète solitaire, le Viennois Adolf Loos (1870-1933), que viendront les actes ouvrant la voie aux nouvelles expériences rationalistes. Posant à l'instar de Kant que l'architecture ne saurait relever de l'art, il construira des maisons cubiques aux surfaces blanches et nues qui choqueront ses contemporains et fascineront l'avant-garde de l'entre-deux-guerres. L'autre matrice de l'architecture nouvelle sera l'usine, ses structures métalliques, ses façades légères, ses fenêtres horizontales. Pour Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), « seuls les bâtiments industriels d'inspiration purement technique fournissaient les exemples d'une architecture véritable ». Quant à Le Corbusier (1887-1965), il empruntera à Walter Gropius (1883-1969) ses photos d'usines et de silos prises en Amérique du Nord comme pièces à conviction pour ses premiers écrits sur l'architecture.
Dans les manifestes de groupes ou de personnalités marquantes de l'avant-garde européenne, on trouve toujours un fond commun de principes issus en droite ligne du tronc rationaliste :
– Rejet de l'ornement : proclamé théâtralement par Loos en 1908, il pourra conduire jusqu'au formalisme « nudiste » auquel s'opposeront en France les tenants d'un structurisme d'inspiration classique dont Auguste Perret (1874-1954) sera le chef de file.
– Unité de l'intérieur et de l'extérieur : d'une manière ou d'une autre, l'édifice doit rendre compte en façade de ses dispositifs internes. « L'extérieur est le résultat d'un intérieur », redira Le Corbusier dans Vers une architecture en 1922.
– À technique nouvelle, architecture nouvelle ! Cette conviction issue du structurisme originel du père Laugier, revu par Viollet-le-Duc, est au centre des propositions les plus inventives de l'architecture rationaliste moderne sommée de répondre à une série de questions : quels matériaux adopter ? Quelle mise en œuvre ? Comment exprimer la réalité structurelle de l'édifice ? Quelle solution pour les divisions de l'espace interne ? Le « plan libre » de Le Corbusier sera l'une des réponses synthétiques les plus adroites jamais trouvées à ces questions.
– Acceptation de la standardisation : fruit d'un long et tumultueux débat européen sur les rapports entre l'art et l'industrie, cette conviction exprimée en 1914 par Hermann Muthesius (1861-1927), au sein du Deutscher Werkbund, deviendra après la guerre le credo de toute l'avant-garde. Walter Gropius l'imposera au Bauhaus : « La standardisation n'est pas un obstacle au développement de la civilisation, mais elle en est, au contraire, une des conditions préalables immédiates. » Pour Le Corbusier, « la perfection » ne peut être atteinte qu'à travers le « standart » (sic) ; le Parthénon autant que l'automobile en sont la preuve. Mais la standardisation soulève le problème du traitement esthétique de l'uniformité : Mies van der Rohe acceptera la répétition intégrale de parties identiques ; Gropius et Le Corbusier essayeront des alternances en quinconces ou introduiront dans l'ordre répétitif des parties atypiques ; Louis Kahn (1902-1979) expérimentera des ordonnances subtilement déréglées ; Édouard Albert (1910-1968) étudiera le remplissage aléatoire des trames.
Louis I. Kahn, The Kimbell Art Museum, Fort Worth
Vue extérieure du Kimbell Art Museum, Fort Worth, (Texas), construit par Louis I. Kahn, 1966-1972.
Crédits : Roger Last/ Bridgeman Images
Louis I. Kahn, The Kimbell Art Museum, Fort Worth : le plan d'eau
Le plan d'eau du Kimbell Art Museum, Fort Worth, (Texas), construit par Louis I. Kahn.
Crédits : Roger Last/ Bridgeman Images
Au cours de son développement historique, l'architecture rationaliste s'est nourrie des inventions des ingénieurs les plus créatifs et des travaux de personnalités situées à mi-chemin entre l'ingénieur et le plasticien, tels Jean Prouvé (1901-1984) et Richard Buckminster Fuller (1895-1983) qui n'ont pas hésité à donner aux « machines à habiter » leur premier visage.
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Écrit par :
- Jean-Louis AVRIL : architecte
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Pour citer l’article
Jean-Louis AVRIL, « RATIONALISTE ARCHITECTURE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 02 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/architecture-rationaliste/