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WERKBUND DEUTSCHER

En 1902, alors même qu'il est attaché à l'ambassade d'Allemagne à Londres et qu'il arrive au terme d'une scrupuleuse enquête sur l'utopisme pratique et théorique de William Morris, l'architecte allemand Hermann Muthesius entreprit d'ébranler les mouvements fin de siècle qui défendaient la vieille tradition des métiers d'art. Pour lui, seuls les objets fabriqués à la machine sont susceptibles de répondre aux exigences de l'époque. De retour en Allemagne, en 1903, il s'attache avec une farouche obstination à jeter les bases d'un organisme qui devait tendre à « unir les artistes et les entreprises industrielles en vue de développer, par une association effective, le travail allemand dans le sens de la technique et du goût... ». Conséquence de ce travail préparatoire : le 6 octobre 1907 se réunissent à Munich une douzaine d'artistes (Behrens, Hoffmann, Olbrich, Riemerschmid, Fischer, Poelzig, Schumacher, Van de Velde...) et douze firmes industrielles pour fonder le Deutscher Werkbund.

Le manifeste inaugural de Werkbund (« le lien par l'œuvre ») exprime les objectifs et la philosophie du mouvement : « Choisir les meilleurs représentants des arts, de l'industrie, des métiers et du commerce ; coordonner tous les efforts vers la réalisation de la qualité dans la production industrielle, créer un centre de ralliement pour tous ceux qui ont la capacité et la volonté de faire des produits de qualité [...]. Il n'y a pas de frontière fixe entre l'outil et la machine. Des œuvres de qualité peuvent être créées indifféremment à l'aide d'outils et de machines dès l'instant que l'homme se rend maître de la machine et en fait un outil. » La notion de qualité qui est privilégiée est entendue comme signifiant « non seulement un ouvrage correctement adapté aux matériaux, mais ayant une portée sensible et une signification artistique ». Le Werkbund tend ainsi à neutraliser la distance que l'évolution économique et sociale a introduite entre l'art et la société, à convertir l'artisan et à conduire l'artiste à penser dans les termes de la nouvelle technologie. Il vise à insérer le potentiel créateur de l'artiste dans le circuit de la production industrielle. On peut ainsi espérer restituer au plasticien une fonction sociale depuis longtemps abandonnée. En somme, le Werkbund indiquait l'urgence de dépasser le plan archaïque des métiers manuels, dénonçait l'inadéquation des « écoles des métiers d'art » (Kunstgewerbeschulen), supputait l'apparition d'une discipline nouvelle dont les Américains prendront conscience vers les années 1930 à travers l'expérience du Bauhaus et les travaux de Raymond Loewy en la baptisant « industrial design » (connue en France, depuis 1945, sous le vocable d'Esthétique industrielle, qui a été remplacé par le mot design depuis les années 1970). Poussant plus avant encore sa pensée, Muthesius, à l'occasion de l'assemblée annuelle du Werkbund en 1914, défend vivement un processus susceptible de rationaliser davantage la production industrielle, en général, et de favoriser, en particulier, la standardisation de l'architecture. Cette position déclencha l'irritation de Van de Velde pour qui la notion d'industrie restait liée à celle de manufacture et recouvrait davantage le travail fourni en atelier par des batteries d'outils que la production linéaire mécanisée. Au sein de Werkbund, les deux tendances s'affrontèrent toujours mais se cristalliseront autour du phénomène architectural. Le mouvement cesse toute activité, de même que le Bauhaus, en 1933, à l'avènement du nazisme. L'association a été reconstituée en 1947 à Rheydt, en Rhénanie.

— Robert L. DELEVOY

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Écrit par

  • : directeur de l'École nationale supérieure d'architecture et des arts visuels, Bruxelles

Classification

Pour citer cet article

Robert L. DELEVOY. WERKBUND DEUTSCHER [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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