ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES)Littératures
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Après la réunification
La fin d'une époque
Les années 1990 ont vu mourir les grandes voix de la littérature allemande de l'après-guerre, d'Elias Canetti (1905-1994) à Heiner Müller (1929-1995), en passant par Thomas Bernhard (1931-1989), Max Frisch (1911-1991), Hans Sahl (1902-1993), Stephan Hermlin (1915-1997) et Stefan Heym (1913-2001), des écrivains qui pour la plupart ont été les témoins des heures les plus sinistres de l'histoire allemande et européenne au xxe siècle. Leur disparition marque la fin d'une époque et d'une certaine conception de la littérature issue de l'effondrement politique et moral de 1945, des impératifs de reconstruction, de réconciliation, et de reconnaissance des culpabilités, le tout sur fond de guerre froide et de partition de l'Allemagne et de l'Europe. Un tournant littéraire s'amorce, même si la publication des journaux intimes de Hans Erich Nossack (1901-1977), les textes mémoriels de Dieter Wellershoff (1925-2018) et de Dieter Forte (né en 1935, ainsi que les essais de W. G. Sebald (1944-2001) sur la guerre aérienne font perdurer les thèmes favoris de la littérature de l'après-guerre. Écrivain déraciné, comme les émigrants dont il retrace le destin tragique (Die Ausgewanderten, 1992 ; Les Émigrants, 1999), Sebald reproche à l'Allemagne, dans un essai demeuré célèbre (Luftkrieg und Literatur, 1999 ; De la destruction comme élément de l'histoire naturelle, 2004), de s'être adonnée à la reconstruction, avec héroïsme certes, mais en silence. En taisant l'éradication des grands centres urbains, comme elle a tu les crimes nazis. La littérature d'après-guerre, dit-il, n'a pas comblé le déficit de transmission historique. Sa thèse a déclenché une violente polémique dans les milieux intellectuels.
Avec le tournant de 1989, c'est le visage de l'Allemagne et de l'Europe qui se transforme : la vieille République fédérale s'est éclipsée, le socialisme a cessé d'exister. Sans doute portées par l'air du temps, des tendances nouvelles apparaissent. La littérature n'entend plus apporter des réponses morales ni accéder à la modernité comme après 1945, s'analyser elle-même en fonction de sa signification sociale, selon l'esprit des années 1960, faire de la sensibilité le critère de toute interprétation, ni privilégier le jeu expérimental avec le langage comme dans les années 1980. Elle se tourne plutôt vers une quête nostalgique de l'authenticité. Une nouvelle génération d'écrivains nés pour la plupart après la construction du Mur de Berlin, ou tardivement venus à l'écriture, se fait connaître. Plusieurs d'entre eux parmi les plus jeunes (Thomas Brussig, Helden wie wir, 1995, Le Complexe de Klaus, 1998 ; Thomas Hettche, Nox, 1995, 1997 ; Thorsten Becker, Schönes Deutschland, 1995, Ma Belle Allemagne, 1998 ; Birgit Vanderbeke, Das Muschelessen, 1989, Le Dîner de moules, 1995 ; Thomas Rosenlöcher, Ostgezeter, 1997) ont thématisé la disparition de ce Mur dont ils ont toujours connu l'existence. Dans une forme littéraire qui emprunte ses canons à la short story, Ingo Schulze, né en 1962, publie le « roman d'une province est-allemande » (Simple Storys : ein Roman aus der Ostdeutschen Provinz, 1998 ; Histoires sans gravité, 1999) et raconte dans un style laconique les changements apportés par l'automne 1989 dans une petite ville retirée de la Thuringe, un sujet qu'il reprendra en 2005 dans un roman épistolaire (Neue Leben : die Jugend Enrico Türmers in Briefen und Prosa) : l'écrivain et dramaturge Enrico Türmer tourne le dos à la création artistique en 1990 pour devenir patron de presse. Il découvre et apprend la logique du capitalisme. Il semble que cette génération, à la recherche d'une esthétique personnelle, s'oriente vers une écriture à la fois minimaliste et hyperréaliste inspirée de la littérature américaine, et privilégie le langage du quotidien, celui de la rue ou de groupes sociaux précis, une démarche qui n'est pas sans rappeler celle de ses aînés dans les années 1970.
Dans ce paysage, Angela Krauss, née en 1950, probablement l'un des grands écrivains des années 1990, est inclassable. Elle n'est pas vraiment une nouvelle venue dans le monde de la littérature : elle avait déjà publié avant 1989 plusieurs récits chez Aufbau, puis chez Suhrkamp (Das Vergnügen, 1984 ; Der Dienst, 1989). La finesse de la perception, l'observat [...]
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Écrit par :
- Nicole BARY : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice
- Claude DAVID : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Claude LECOUTEUX : professeur de langues et littératures allemandes et germaniques à l'université de Caen
- Étienne MAZINGUE : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-Sorbonne
- Claude PORCELL : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, maître de conférences de littérature allemande à l'université de Paris-Sorbonne
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Pour citer l’article
Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL, « ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/allemandes-langue-et-litteratures-litteratures/