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ALLÉGORISTES CHRÉTIENS

À la suite des philosophes païens qui interprétaient les mythes traditionnels de l'hellénisme en dévoilant la signification philosophique cachée (morale ou physique) qu'ils contenaient, les Juifs (Aristobule et Philon d'Alexandrie) puis les chrétiens ont dégagé des saintes Écritures des sens cachés voulus par Dieu, véritable auteur de la Bible, et distincts du sens immédiatement apparent. Cette pratique étendait à l'ensemble du texte biblique et à ses moindres détails une méthode légitime pour le seul genre littéraire de l'allégorie, méthode qui exprime dans les divers éléments d'un récit des idées cachées (par exemple, le chant de la vigne en Isaïe, v, 1-6, ou l'allégorie du bon Pasteur en Jean, x, 1-18). Cette méthode était déjà pratiquée dans le Nouveau Testament (ainsi en I Cor., ix, 9, à propos de Deut., xxv, 4, et en Gal., iv, 24-26, où est employé le terme « allégorie »).

En son principe, l'allégorie entend s'opposer à une interprétation littéraliste plus que littérale des Écritures : elle affirme le sens religieux de la Bible, qu'une méconnaissance obscurantiste des genres littéraires et des figures du langage empêche d'apercevoir. Dans le christianisme, l'allégorie répond également à la prise de conscience du fait que l'Ancien Testament n'a pas d'autre sens que d'annoncer et de préparer Jésus-Christ. Les allégoristes essaient d'accentuer cette finalité chrétienne de l'Ancien Testament en dévoilant dans chaque détail du texte un sens chrétien. L'allégorie a également une fonction apologétique : elle rend acceptables certains textes difficiles ou d'apparence scandaleuse. L'absurdité ou l'inconvenance d'un passage constituent aux yeux des allégoristes un indice incontestable de la nécessité de dépasser le sens immédiatement apparent. C'est ainsi que le langage amoureux du Cantique des cantiques a été interprété par les exégètes juifs comme le symbole de l'amour entre Dieu et son peuple et par les chrétiens comme le symbole de l'amour du Christ et de l'Église.

La tendance naturelle de cette méthode est de négliger la réalité historique des événements de l'Ancien Testament au profit d'un sens spirituel souvent assez fantaisiste. Dans l'Épître de Barnabé, par exemple, l'Ancien Testament est réduit à n'être qu'une préparation du Christ. Les sacrifices, le sabbat, le temple, la circoncision n'ont aucune valeur religieuse en eux-mêmes.

Le grand maître de l'allégorie chrétienne reste l'Alexandrin Origène qui distingue dans les Écritures un sens corporel (historique et grammatical), un sens psychique (moral) et un sens pneumatique (mystique). Selon Origène, la richesse du texte biblique est telle que ses sens sont inépuisables. Après Origène, les grands représentants de la méthode allégorique furent les Pères cappadociens ; l'Occident latin, malgré les réticences de Jérôme, fit un usage généralisé de cette méthode et la transmit au Moyen Âge.

Cette méthode a soulevé de tout temps des critiques. Elle était évidemment inacceptable pour Marcion, qui entendait non pas rapprocher, mais opposer les deux Testaments. Entre chrétiens et païens, on se reprochait mutuellement de fausser le sens véritable des textes en y insérant des doctrines étrangères. La méthode allégoriste, fort répandue à Alexandrie, a suscité à partir du ive siècle la réaction des exégètes de tradition antiochienne, soucieux de dégager le sens littéral par la voie de l'analyse historique et grammaticale. S'ils refusent les allégories gratuites qui évacuent selon eux la réalité historique des événements de la Bible, ces exégètes d'Antioche admettent cependant l'existence dans l'Ancien Testament de prophéties messianiques[...]

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Écrit par

  • : docteur de troisième cycle, chargé de recherche au C.N.R.S.

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