AGRICULTURE Politiques agricoles et négociations internationales

Les politiques agricoles, qui sont aussi des politiques alimentaires, environnementales, d’aménagement du territoire et de santé publique, sont un sujet de discorde dans les relations internationales : entre les pays de l’Union européenne (UE), entre l’UE et les États-Unis, entre les pays émergents et les pays pauvres, entre les pays développés et les pays en développement... À plusieurs reprises, les négociations internationales conduites dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont échoué du fait des questions agricoles. La libéralisation de ce secteur, promue par certains, est très vivement contestée par d’autres, notamment parce que l’agriculture concerne l’alimentation et donc la vie.

Les motifs et les moyens des interventions publiques en agriculture sont divers. Pour autant, les politiques agricoles mises en place au cours du xxe siècle ont été remises en cause à partir des années 1980 et elles ont évolué, sous l’influence notamment des discussions menées dans le cadre de l’OMC.

Les raisons et les moyens des politiques agricoles

Depuis la haute antiquité, la plupart des États sont intervenus dans l’économie du secteur agricole, pour des motifs variés parmi lesquels figurait presque toujours l’objectif de garantir la sécurité des approvisionnements alimentaires de la population. En effet, dans de nombreuses sociétés, la certitude que l’État fait tout son possible pour assurer à chacun, à tout moment, un accès à une nourriture suffisante en quantité et en qualité est l’un des fondements du contrat social qui lie l’État à ses ressortissants. Autrement dit, une politique agricole est fondamentalement une politique alimentaire. De fait, la très grande majorité des produits agricoles sert à l’alimentation et la quasi-totalité des aliments provient de denrées agricoles. Par ailleurs, l’activité agricole, qui occupe beaucoup d’espace, a des effets sur l’environnement. De plus, dans beaucoup de pays, elle procure des moyens d’existence à un nombre important d’agriculteurs. Une politique agricole est donc aussi une politique d’emplois et de revenus en milieu rural, une politique environnementale et d’aménagement du territoire, ainsi que de santé publique.

Pourquoi des politiques agricoles ?

Le bien-fondé des interventions publiques dans le secteur agricole est l’objet de vifs débats entre économistes libéraux et non libéraux. Cela étant, beaucoup d’économistes sont d’accord pour dire que l’instabilité des marchés agricoles peut justifier de telles interventions. En effet, sur ces marchés, la demande est en général très stable, notamment parce que l’alimentation est un besoin vital. Or l’offre est variable, en raison entre autres des aléas climatiques et biologiques (maladies des plantes et des animaux, ravageurs…). Dans ces conditions, en l’absence d’intervention, lorsque les récoltes sont abondantes, les prix de marché sont faibles et les agriculteurs sont en difficulté. Inversement, quand les récoltes sont maigres, les prix sont élevés et ce sont les consommateurs pauvres qui en souffrent. C’est pourquoi de nombreux analystes s’accordent sur l’utilité d’une régulation de cette instabilité.

Beaucoup d’économistes reconnaissent aussi qu’une intervention publique est souhaitable pour réguler l’offre de certains biens et services dont la production est inhérente à l’activité agricole, mais pour lesquels il n’existe pas de marché. Par exemple, l’embellissement des paysages et la protection de l’environnement sont considérés comme des services positifs. En revanche, les pollutions et les contaminations alimentaires sont perçues comme des dommages. Étant donné qu’il n’existe pas de marché pour ces biens et services, le risque est bien réel que l’offre de biens et services positifs soit inférieure à la demande collective et que la production de biens et de services négatifs aille au-delà de ce qui est socialement acceptable. Cela ouvre la voie à une intervention publique. Depuis les années 1990, on désigne par le terme « multifonctionnalité » le fait que l’activité agricole rende des services variés, qui vont au-delà de la fonction de production alimentaire.

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De nombreux analystes qui travaillent sur les pays d’Asie et d’Afrique, considérant les emplois que procure l’agriculture, les revenus qu’elle distribue, les débouchés qu’elle offre aux autres secteurs et le rôle qu’elle joue dans le développement économique général, recommandent des politiques agricoles appropriées.

On peut donc invoquer bien des raisons, économiques, sociales ou politiques pour légitimer les interventions publiques dans le secteur agricole. Il reste que, pour atteindre tel ou tel objectif, plusieurs voies sont en général possibles.

Les moyens d’intervention

Les moyens de l’intervention publique en agriculture sont nombreux et divers : par exemple, régler les conditions d’accès à la terre par des lois de redistribution du foncier ou des lois anticumul, par une superficie minimale d’installation ou un statut du fermage et du métayage ; codifier des normes à respecter dans les processus de production ; financer des services de recherche agronomique et de vulgarisation, des formations aux métiers du secteur agricole ; mettre en place des infrastructures de commercialisation et de transport... Quelques instruments sont particulièrement utilisés dans les politiques actuelles et font l’objet de négociations internationales : soutien des prix payés aux agriculteurs pour leurs produits, subventions aux facteurs de production qu’ils utilisent, aides directes aux revenus agricoles.

Pour garantir des prix minimums aux agriculteurs, deux grandes voies sont possibles : intervenir directement dans le fonctionnement des marchés ou, au contraire, laisser libre cours aux fluctuations de prix et verser a posteriori aux agriculteurs une subvention par unité produite qui comble l’écart entre prix de marché et prix minimum. Dans la communauté européenne, dans les années 1960 à 1980, la Politique agricole commune (PAC) concernant les céréales, la viande bovine et les produits laitiers relevait de la première voie : des droits de douane variables étaient imposés pour relever à un niveau relativement haut les prix de ces produits importés, et le stockage public permettait de maintenir les prix intérieurs au-dessus d’un certain seuil. La politique des États-Unis pour les céréales depuis le milieu des années 1960 s’est généralement inscrite dans la seconde voie. Des prix garantis bénéficient d’autant plus aux agriculteurs que ceux-ci produisent des volumes importants. Et l’expérience montre qu’ils entraînent de fortes augmentations de la production, sauf s’ils s’appliquent à des quantités limitées seulement, que l’on appelle quotas. Dans ce cas, les quantités produites au-delà des quotas sont en général payées à des prix plus faibles, et éventuellement plus instables (cas du lait dans la Communauté puis l’Union européenne de 1984 à 2015 ; cas du lait, des œufs et des volailles au Canada), ce qui dissuade les agriculteurs de produire beaucoup plus que leurs quotas.

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Les subventions auxfacteurs de production, que ceux-ci varient en fonction des quantités produites (semences, engrais minéraux, pesticides...) ou qu’ils soient quasi fixes (terre, travail familial, équipements durables), servent à réduire les coûts supportés par les agriculteurs. Les aides directes aux revenus agricoles peuvent être calculées en fonction des volumes ou des prix des produits, ou encore en fonction des facteurs de production utilisés. Elles sont dites « couplées » lorsqu’elles sont liées au volume produit lors de l’année en cours, ou au contraire « découplées » quand elles n’en dépendent pas. Les aides découplées peuvent, par exemple, être indexées sur la production passée de chaque exploitation – comme cela a été décidé lors de la réforme de la PAC en 2003. Elles sont supposées avoir peu ou pas d’effet sur les décisions de production des agriculteurs, et donc ne pas interférer avec le libre fonctionnement des marchés nationaux ou internationaux. C’est pourquoi elles sont jugées acceptables par les tenants du libéralisme et promues dans les négociations internationales à l’OMC. Pourtant, ces aides accroissent les revenus des agriculteurs et facilitent donc la prise de risques, l’accès au crédit, l’investissement et l’augmentation de la production à terme. Elles peuvent même permettre aux agriculteurs bénéficiaires de vendre leurs produits à des prix inférieurs à leurs coûts de production, ce qui finalement revient à subventionner l’industrie agroalimentaire. Tout cela a bel et bien des effets sur les marchés, même si l’ampleur de ces effets est controversée. Enfin, on peut s’interroger sur la signification économique et sociale du métier d’agriculteur dès lors que les exploitants agricoles reçoivent des subventions indépendantes des volumes de biens et de services qu’ils produisent.

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  • : professeure en sciences de la population et du développement, spécialisée dans les questions agricoles et alimentaires à l'Université libre de Bruxelles (Belgique)

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Signature des derniers accords du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) à Marrakech - crédits : Jacques Langevin/ Sygma/ Getty Images

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Manifestation à Seattle (États-Unis), en 1999, contre la reprise des négociations internationales à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) - crédits : Daniel Sheehan/ Liaison Agency/ Newsmakers/ Getty Images

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