ACIDES & BASES
Un acide est un corps capable de céder un ou des protons (une particule fondamentale chargée d'électricité positive) et une base est un corps capable de capter un ou des protons. Chacun a ses caractéristiques. Les acides ont une saveur aigre (l'adjectif latin acidus signifie « aigre », « acide »), et les bases une saveur particulière comme celle de la lessive (le terme d'alcali, nom générique des bases, dérive de l'arabe al-kali, « cendre de plantes », d'où l'on retirait par lessivage du carbonate de potassium).
Les uns et les autres ont une action sur les « indicateurs colorés » : la solution aqueuse (présence d'eau) de tournesol vire au rouge au contact des acides et au bleu au contact des bases ; la solution d'hélianthine est rose en milieu acide et jaune en milieu basique, etc. Ainsi, les indicateurs colorés permettent d'identifier si une espèce est acide ou basique, en établissant une échelle fondée sur un paramètre appelé le pH (p pour potentiel et H pour hydrogène). Cette mesure de l'état d'une solution acidobasique contenant des ions H+ est : pH = — log[H+], où [H+]est la concentration en ions H+ (ou H3O+) et log le logarithme décimal. L'échelle va de pH = 0 (acides forts), pour les solutions à concentration élevée en ions H+ (ou H3O+), jusqu'à 14 pour les bases les plus fortes, c’est-à-dire pour les solutions à concentration élevée en ions OH—. Un pH égal à 7 correspond à une solution neutre. Par exemple, l’acide chlorhydrique concentré (acide fort) a un pH proche de 0 ; la soude, base très forte, a un pH proche de 14. Le pH a une grande importance dans de nombreux domaines.
Les notions d'acide et de base sont indissociables. En effet, tel Janus, la plupart des espèces chimiques en milieu aqueux possèdent un double visage et peuvent se dédoubler en acide et en base.
Le physicien et chimiste suédois Svante Arrhenius (1859-1927) fut le premier à proposer, en 1887, la théorie de l'ionisation des électrolytes pour interpréter les lois physiques de l'électrolyse, méthode qui permet de décomposer une espèce chimique en ions par l'action d'un courant électrique : les uns, porteurs de charge positive, comme l'ion hydrogène (H+) ou l'ion ammonium (NH4+), sont les cations ; les autres, de charge négative, comme l'ion hydroxyde (OH–) ou l'ion nitrique (NO3–), sont les anions. Le chimiste danois Johannes Brønsted proposa, vers 1922, une théorie de l'acidobasicité plus générale que celle d'Arrhenius, admise jusqu'alors. Sa définition des acides et des bases, qui perdure, peut se résumer ainsi :
acide → base + H+
Le couple acide-base le plus simple est celui de l'eau (H2O), mais comporte une singularité que nous allons développer. Nous appelons réaction d'autoprotolyse de l'eau la réaction suivante :
H2O + H2O → H3O+ + OH–
Dans cette réaction, les deux molécules qui réagissent jouent des rôles différents. En effet, une des deux molécules d'eau perd un proton pour donner un ion hydroxyde, selon le schéma :
Une molécule d'eau H2O agit comme un acide dont la base conjuguée est l'ion hydroxyde OH—. Les deux espèces H2O et OH— forment le couple H2O /OH—.
L'autre molécule d'eau capte un ion hydronium H3O+, selon le schéma :
Dans cette « demi-équation protonique », la molécule d'eau H2O se comporte comme une base dont l'acide conjugué est l'ion hydronium. Les deux espèces H3O+ et OH— forment finalement le couple acidobasique H3O+ /OH—.
Bien d'autres exemples pourraient être cités. Voici celui de l'acide éthanoïque (CH3CO2H). Dans certaines conditions expérimentales, les molécules d'acide éthanoïque peuvent participer à une réaction chimique et donner naissance à des ions éthanoates (CH3CO2—). Pour interpréter cette réaction, on peut considérer que chaque molécule d'acide éthanoïque perd un proton H+, ce que l'on peut traduire par le schéma :
CH3CO2H → CH3CO2— + H+
Dans d'autres conditions, les ions éthanoates donnent naissance à des molécules d'acide éthanoïque. Pour interpréter cette réaction, on peut considérer que chaque ion éthanoate capte un proton H+ :
Ces deux schémas, inverses l'un de l'autre, sont regroupés en un schéma unique :
Les deux espèces chimiques CH3CO2H et CH3CO2— constituent aussi un couple acide-base. Par convention, on écrit plus simplement ce couple en faisant figurer l'acide à gauche et la base à droite.
Les effets des « pluies acides », largement présentés par les médias dans les années 1980, sont scientifiquement reconnus dans le dépérissement de certaines forêts en Europe, même si ce phénomène est trop complexe pour qu'on l'attribue aux seules pluies acides. L'acidité de ces pluies est due aux combustions domestiques et industrielles qui dégagent des oxydes de carbone, de soufre et d'azote. Sur un sol calcaire, l'acidité des pluies est sensiblement neutralisée (on parle de « pouvoir tampon ») et le pH est voisin de 7. En effet, l'ion carbonate CO3— des calcaires est basique : c'est la base conjuguée de l'ion hydrogénocarbonate HCO3—, lui-même base conjuguée de l'acide carbonique :
Sur un sol granitique ou siliceux, il en va différemment. Les eaux de ruissellement ne dissolvent pratiquement pas d'ions provenant de la dégradation des roches : elles n'ont donc aucun pouvoir tampon. Les eaux pluviales n'étant pas neutralisées, l'acidité des cours d'eau et des lacs augmente.
En agriculture, le pH d'un sol a une importance sur la nutrition des végétaux, l'assimilabilité des ions dans le sol selon son état calcique étant déterminante pour décider ou non de son amendement en calcaire. D'une manière générale, le pH des sols conditionne ainsi en partie la répartition des végétaux.
En biochimie, dans les conditions normales, le pH sanguin est neutre, celui de l'urine est légèrement acide (pH = 6,2) et celui de la salive est acide (pH = 5,7). Le suc gastrique est très acide (pH = 2), alors que le suc intestinal est alcalin (pH = 7,3). Dans le milieu intérieur, le pH est maintenu dans de strictes limites par des phénomènes de régulation.
Histoire des notions d'acides et de bases
Très longtemps intuitives, les notions d'acidité et de basicité ont échappé à une définition simple et générale. Déjà, en 1786, Guyton de Morveau écrivait dans son Encyclopédie de la chimie :
« Rien de plus embarrassant que de former une juste idée de la vertu acide. La définition de l'acide est, à vrai dire, la clé de la chimie, non seulement parce que ce sont les acides qui produisent les plus beaux phénomènes, et en plus grand nombre, mais encore parce que ce sont des agents visibles et palpables, dont les effets frappent nos sens, de sorte que l'on peut dire que c'est la chimie des acides qui a ébauché la science, et qui sert de base au système général de nos connaissances dans cette partie de l'étude de la nature. »
Aucune des théories avancées ne s'impose de façon définitive, principalement parce que les concepts intéressent des chercheurs travaillant dans des domaines différents (physicochimie, chimie analytique, minérale, organique), donc avec des optiques différentes. Ces spéculations ne doivent cependant pas faire oublier le rôle primordial des acides et bases à l'origine de nombreuses préparations, tant au laboratoire que dans l'industrie ; ces substances jouissent en effet d'une réactivité intense, en raison de la mobilité des groupements qui les caractérisent (ions H+ ou H3O+pour les acides, OH— pour les bases).
Exceptant la métallurgie, la grande industrie chimique minérale, et même organique, est fondée sur l'emploi des acides et des bases. Ainsi, le tonnage annuel de la production mondiale d'acide sulfurique arrive immédiatement après celui du fer. La production d'un pays en acide sulfurique, en raison des applications très diverses de ce dernier, préparation d'autres acides, d'engrais, de sulfates métalliques, raffinage du pétrole, bains d'électrolyse, etc., est d'ailleurs retenue par les économistes comme critère du développement de l'industrie chimique de ce pays. Après lui, les acides les plus importants sont l'acide nitrique, utilisé dans la fabrication des engrais, colorants, explosifs, et l'acide acétique, entrant dans la composition de plusieurs matières plastiques.
Les bases ont une importance presque aussi grande. Rappelons qu'en France la grande industrie chimique prit naissance en 1790, avec la fabrication de la soude par le procédé Leblanc, à partir du sel marin, de l'acide sulfurique, et du carbonate de calcium. Outre la soude et la potasse (préparation des savons), les autres bases importantes sont la chaux (industrie du bâtiment, sidérurgie), l'ammoniac (engrais, acide nitrique) et l'aniline (matières colorantes).
Le mot « acide » vient du latin acidus (aigre), ce qui montre bien l'origine organoleptique de cette notion. Le vinaigre, solution aqueuse diluée d'acide acétique, issue de la fermentation du vin, semble trouver son origine quelque 3 000 ans avant notre ère, en Mésopotamie. Ce fut, pendant longtemps, le seul « acide industriel ».
La notion de base, antagoniste de la précédente, en est difficilement séparable. À peu près à la même époque, les Égyptiens utilisaient le natron, sel double de carbonate et bicarbonate de sodium, retiré des lacs salés, pour la momification, puis plus tard pour la fabrication du verre (2 000 ans avant notre ère) ; la chaux, comme actuellement, était obtenue par calcination du calcaire. La fraude étant aussi ancienne que l'humanité, on sut de bonne heure « caustifier » le carbonate de sodium par la chaux, ce qui permettait d'accroître son pouvoir alcalin par libération de soude. Le terme d'« alcali » (base) dérive de l'arabe al-kali, cendres de plantes, d'où l'on retirait, par lessivage, le carbonate de potassium. Les bases, substances amères, détruisent l'action des acides ; alors que ces derniers rougissent la teinture de tournesol, les bases la bleuissent, et l'on peut obtenir à volonté le passage d'une teinte à l'autre par emploi de ces substances. Ces notions fragiles s'étayèrent par la suite sur des constatations autres que le virage de certains colorants végétaux ; la plus spectaculaire était le pouvoir dissolvant des acides envers les métaux, ainsi que leur pouvoir de précipiter le soufre de ses solutions alcalines (Boyle).
L'opposition d'une base à un acide conduit à une substance « neutre » appelée « sel » (Rouelle, 1774) ; on s'aperçut d'ailleurs que, quoique ne présentant pas de réaction alcaline, certains oxydes peu solubles (magnésie, oxyde de zinc) pouvaient neutraliser les acides.
Aux alchimistes revient le mérite d'avoir préparé les acides forts minéraux : chlorhydrique, sulfurique (la préparation de « l'huile de vitriol » par calcination du sulfate de fer, était connue avant 1600), nitrique (la préparation de l' eau-forte par calcination d'un mélange d'alun et de nitrate de potassium, est connue par un travail de Geber). À la fin du xvie siècle, Van Helmont avait rapproché les alcalis « fixes » de l'alcali « volatil » (ammoniaque) et des carbonates alcalins.
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Écrit par
- Yves GAUTIER
: docteur en sciences de la Terre, concepteur de la collection
La Science au présent à la demande et sous la direction d'Encyclopædia Universalis, rédacteur en chef de 1997 à 2015 - Pierre SOUCHAY : professeur à l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie Curie et à l'École nationale supérieure de chimie, Paris
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- HYDROLYSE
- INDICATEURS COLORÉS
- ÉLECTRONÉGATIVITÉ
- HYDROGÈNE LIAISON
- EAU-FORTE
- LEWIS THÉORIE DE
- ÉLECTROPHILES RÉACTIONS
- IZMAÏLOV RUSTUM GADJIEVITCH (1909- )
- COORDINENCE ou NOMBRE DE COORDINATION
- ALCALI
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- BRØNSTED-LOWRY THÉORIE DE
- AMPHOTÈRE CORPS
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- CONSTANTE DE DISSOCIATION
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- FORCE D'UN ACIDE ou D'UNE BASE
- ÉQUILIBRE, chimie
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