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MOYEN ÂGE L'affirmation des langues vulgaires

La langue latine a longtemps constitué, dans l'Europe médiévale, le principal vecteur du savoir et de la culture. Cependant, à l'initiative des écrivains et du public des cours, on voit se développer du ixe au xiie siècle un usage littéraire des « langues vulgaires », dialectes et parlers nationaux.

L'avènement des langues vernaculaires

Un fragment de manuscrit du xe siècle donne, à la suite d'une pièce latine également en l'honneur de sainte Eulalie, une séquence de 29 vers qui célèbre, mais en langue vulgaire, en « roman », les mérites et le martyre de la sainte. Ce texte en vers assonancés n'est pas l'acte de naissance de la langue française : les Serments de Strasbourg, qui voient Charles le Chauve et Louis le Germanique s'allier contre leur frère Lothaire en 842, jouent ce rôle. Mais il est l'un des tout premiers témoignages de l'accession du français au statut de langue littéraire capable d'égaler les ressources de la langue et de la tradition latines et médio-latines. Nous ignorons tout cependant des raisons qui ont incité l'auteur de cette séquence à choisir le « roman », et des destinataires (clercs et/ou laïcs) de ces vers. C'est vers 1150, en effet, avec l'avènement du « roman » comme forme littéraire, qu'apparaît, notamment dans les prologues, une réflexion argumentant et justifiant à la fois l'acte d'écrire et le choix de la langue vernaculaire.

La justification le plus souvent alléguée est l'obligation que ressent le clerc de transmettre et de vulgariser le savoir que Dieu lui a concédé. Le choix de la langue est alors explicitement lié au public visé, l'univers laïc des courtois, qui englobe aussi bien, selon le Roman d'Alexandre, les chevaliers que les clercs et les dames et demoiselles au « clair visage » ; mais ce public peut être aussi, dans le domaine anglo-normand par exemple, constitué par les clercs et les religieuses incapables de lire le latin des textes sacrés et des vies de saints. Une autre et importante justification au fait d'écrire en langue vulgaire est le travail que représente l'adaptation-traduction d'un texte latin en roman, et plus généralement l'art de la composition (la conjointure, selon Chrétien de Troyes) et celui de la versification (faire rimes et ditier, selon Marie de France). La « peine » que se donne l'écrivain lui confère une place au sein d'une société qui, alors, ne connaît ni ne reconnaît un « métier » qui, longtemps encore – jusqu'au xve siècle –, ne sera pas répertorié dans les « états » du monde.

Dès 1100 se développe dans le Midi une poésie lyrique en langue d'oc qui utilise une koinè littéraire appelée leimosi par les premiers troubadours et qui se voue à la célébration de la fin'amor (l'amour vécu et chanté dans sa perfection) dans les formes et la thématique très tôt codifiées de la canso (chanson d'amour). Qu'ils restent fidèles au trobar leu (facile, clair) ou qu'ils pratiquent les recherches formelles du trobar ric (riche) ou du trobar clus (fermé, obscur), les troubadours se définissent avec prédilection comme des orfèvres du vers.

Au nord de la Loire, la plupart des écrivains d'oïl insistent eux aussi sur le plaisir esthétique que doit procurer la lecture de leurs œuvres et reprennent à leur compte les deux exigences de la rhétorique latine : instruire et plaire ; mais écrire en langue vulgaire est également lié au désir de conserver et de transmettre par l'écriture la mémoire du passé, les « faits et mœurs des ancêtres » (Wace, Roman de Rou), les res gestae mythiques (les romans antiques) ou déployées aux frontières de l'histoire et de la légende (les chansons de geste, le Roman d'Alexandre). L'apparition dans le champ littéraire,[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Emmanuèle BAUMGARTNER. MOYEN ÂGE - L'affirmation des langues vulgaires [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots

    Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots

    Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...

  • APOLOGUE, genre littéraire

    • Écrit par Jean MARMIER
    • 441 mots

    La narration d'une anecdote à personnages animaux, ou parfois végétaux, agissant et parlant comme les humains et, le cas échéant, en leur compagnie, a toujours servi à illustrer des leçons de prudence ou de morale pour les hommes. Le genre, préexistant à la notion de genre, plonge ses racines...

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par Filippo D' ANGELO
    • 1 332 mots

    On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait le...

  • DÉBAT, genre littéraire

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 347 mots

    Le terme générique « débat » correspond à une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du xiie siècle : d'abord en latin, sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire ; il est appelé tenson ou jocpartit en...

  • DESCRIPTION, notion de

    • Écrit par Elsa MARPEAU
    • 985 mots

    La description permet de donner à voir en imagination, grâce au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du récit. Sa finalité représentative semble ainsi l'opposer aux visées narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction théorique est plus complexe dans la pratique,...

  • DIALOGUE

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Robert MISRAHI
    • 4 421 mots
    • 1 média

    L'entrée en dialogue paraît d'autant plus désirable que le partenaire est plus différent ou plus lointain. Le dialogue répond à une préoccupation éthique – il serait l'antiviolence par excellence – et à un souci politique : comment améliorer la circulation de l'information de manière...

  • DIDACTIQUE POÉSIE

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 531 mots

    Poésie qui dispense un enseignement (philosophique, moral, scientifique, technique, etc.) en le parant des agréments propres à la poésie. Le vers, de par ses vertus mnémoniques, a été utilisé dès les origines pour fixer une leçon (oracles, sentences...) ; aux débuts de la littérature grecque, il...

  • ÉPOPÉE

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER, Maria COUROUCLI, Jocelyne FERNANDEZ, Pierre-Sylvain FILLIOZAT, Altan GOKALP, Roberte Nicole HAMAYON, François MACÉ, Nicole REVEL, Christiane SEYDOU
    • 11 781 mots
    • 7 médias

    Proche du mythe, l'épopée chante l'histoire d'une tradition, un complexe de représentations sociales, politiques, religieuses, un code moral, une esthétique. À travers le récit des épreuves et des hauts faits d'un héros ou d'une héroïne, elle met en lumière un monde total, une réalité...

  • FABLE

    • Écrit par Marc SORIANO
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  • LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE, notion de

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  • CONFESSIONS, Augustin - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 943 mots

    Les Confessions, ouvrage de saint Augustin (354-430) le plus célèbre avec La Cité de Dieu, furent rédigées de 397 à 401. L'auteur s'adresse directement, dans un dialogue intime, à ce Dieu qu'il avait tant cherché « en labeur et fièvre » ailleurs que là où le Dieu d'amour l'attendait,...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet, il...

  • DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 763 mots

    Le Dialogue des orateurs (Dialogus de Oratoribus, vers 105 apr. J.-C.), dont on considère aujourd'hui que l'auteur est très probablement Tacite (vers 55-vers 120), fait délibérément écho, à un siècle et demi de distance, au grand traité latin de Cicéron, le De Oratore : même sujet...

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