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LECTURE

Don Quichotte, A. Schroedter - crédits : AKG-images

Don Quichotte, A. Schroedter

On sait que la « lecture » d'un texte est le résultat de la confrontation de l'acquit personnel de chacun avec les données qui lui sont proposées, sous forme d'une suite de signes symboliques. Les hommes d'un milieu ou d'une époque réagissent donc, face notamment aux œuvres littéraires, autant en fonction de la culture dans laquelle ils se trouvent immergés que de leur expérience personnelle. D'où l'intérêt – et la difficulté – qu'il peut y avoir à étudier les pratiques de la lecture à travers leur histoire.

On peut d'abord se demander à cet égard dans quelle mesure la diversité des systèmes d' écriture entraîna et continue d'entraîner des formes de lecture différentes. Bornons-nous à souligner ici que le déchiffrement des idéogrammes met en action des secteurs du cerveau différents de ceux qui interviennent dans le cas d'écritures alphabétiques ou syllabiques et que les circuits de la lecture à haute voix ne sont pas exactement les mêmes que ceux de la lecture à voix muette. Enfin, le liseur qui parcourt un texte se livre évidemment à un travail très différent de celui qui s'efforce de lire intégralement le même texte. Cependant, la vitesse de lecture reste approximativement la même quel que soit le système utilisé – cette vitesse dépendant avant tout de l'entraînement du sujet et surtout de la capacité de la mémoire immédiate de l'homme qui engrange les signes tandis que le cerveau propose un sens.

Cependant, les sociétés durent faire, de même que les enfants, un long apprentissage avant d'atteindre cette forme de familiarité avec l'écrit qui est aujourd'hui la nôtre. L'histoire des pratiques de la lecture en Occident est celle d'un lent effort tendant à détacher le discours écrit du flux apparemment continu de la parole.

Lecture à haute voix et lecture silencieuse

Le temps du « volumen »

Voici d'abord le volumen de l'Antiquité classique. Le texte se trouve inscrit en colonnes perpendiculaires au sens de déroulement d'un rouleau de papyrus, un peu à la manière des images d'un film, et cette forme de lecture rend évidemment difficile toute consultation ponctuelle ou tout retour en arrière, de telle sorte que l'écriture y apparaît conçue comme une reproduction de la parole. Bien plus, si les mots sont généralement séparés dans les écritures consonantiques afin de faciliter la compréhension des paroles dont le seul squelette consonantique est inscrit sur la feuille, les lettres se suivent d'ordinaire sans séparation chez les Grecs, et aussi, à partir du ier siècle après J.-C., chez les Latins – les scribes se contentant d'isoler en certains cas les syllabes afin de faciliter la prononciation. De même, la ponctuation reste le plus souvent élémentaire et se trouve limitée, au moins pour les Latins, à des points placés à des hauteurs différentes ainsi qu'à des blancs, et cela dans le meilleur des cas.

Dans ces conditions, les lecteurs avaient tout intérêt à lire de tels textes à haute voix afin de se laisser guider par le rythme de la phrase. Qu'on ne s'étonne donc pas si les Anciens, férus d'art oratoire, étaient accoutumés à lire à haute voix ou, du moins, à voix murmurante ou, mieux encore, à se faire lire les documents comme les œuvres littéraires. D'où le rôle joué dans l'Empire romain par les lectures faites en public. De telles pratiques permettent de mieux comprendre la composition, au reste fort savante, de certaines œuvres littéraires où l'on relève des digressions et des retours en arrière destinés à délasser l'auditeur ou à lui rappeler les données essentielles du sujet traité. Mais on ne doit pas moins admirer la faculté d'attention d'un public capable de comprendre et d'apprécier des œuvres d'une grande densité d'information et d'une logique rigoureuse au rythme d'une lecture[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'École nationale des chartes, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études
  • : conservatrice générale des bibliothèques, directrice de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art

Classification

Pour citer cet article

Henri-Jean MARTIN et Martine POULAIN. LECTURE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

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Don Quichotte, A. Schroedter

Autres références

  • APPRENTISSAGE DE LA LECTURE

    • Écrit par Jonathan GRAINGER, Johannes ZIEGLER
    • 1 847 mots

    La lecture est une invention culturelle, l'une des plus grandes de la civilisation. Les systèmes d’écriture, comme l’alphabet latin, ont été inventés pour transcrire le langage oral. C’est ainsi que le langage oral est devenu immortel. Dans le cerveau du lecteur, les symboles sur la page deviennent...

  • ALEXIES

    • Écrit par Marie-Pierre de PARTZ
    • 1 658 mots

    Les alexies correspondent aux troubles de la lecture qui apparaissent chez des lecteurs habiles à la suite d’une lésion cérébrale aiguë (par ex. accident vasculaire ou traumatisme crânien) ou neurodégénérative (certaines démences). Ces déficits, encore appelés « dyslexies acquises », sont à différencier...

  • BARTHES ROLAND (1915-1980)

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 4 712 mots
    • 1 média
    ...euphories/dysphories matérielles là où on attendrait une classique étude historique ou idéologique. Avec Sur Racine, où il expérimente sur l'auteur de Phèdre une lecture psychanalytique assez novatrice qui fera grincer des dents aux sorbonnards élevés dans la stricte méthode de Lanson – respect des vraisemblances...
  • BIBLIOTHÈQUES

    • Écrit par Henri-Jean MARTIN
    • 8 931 mots
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    ...bibliothèques universitaires qui disposèrent de très faibles moyens et demeurèrent embryonnaires jusqu'à une période très récente. Longtemps, enfin, la lecture publique ne réussit pas à se développer en France. Certes, les gouvernements tentèrent à plusieurs reprises de créer un réseau de bibliothèques...
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