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ALTÉRITÉ, philosophie

L'intentionnalité husserlienne : une « reconstruction » de l'autre

Dans ses Méditations cartésiennes (1929), Husserl va remettre en cause l'interprétation du cogito comme res cogitans, cette substantialisation de l'ego transcendantal étant à ses yeux le pire des fourvoiements. Pour constituer la philosophie comme science rigoureuse, pour trouver un fondement plus profond que celui de l'idéal géométrique cartésien, Husserl met en œuvre une « méthode universelle et radicale », l'épochè, ou réduction transcendantale qui, même si elle s'inspire bien du doute hyperbolique, va permettre l'accès à un fondement plus radical que l'ego cogito, c'est-à-dire assurer l'absoluité de l'ego transcendantal.

Contrairement au doute cartésien, la réduction ne nie pas le monde rejeté hors de la conscience, elle ne l'anéantit nullement mais lui fait subir une modification de valeur. Le monde est intégré dans l'ego à titre de corrélat intentionnel : « les objets n'existent pour nous et ne sont ce qu'ils sont que comme objets d'une conscience réelle ou possible » (Méditation cartésienne, IV, paragr. 30). La conscience est toujours conscience de quelque chose, mouvement d'échange permanent avec le monde, porteuse de son cogitatum en elle-même. L'intentionnalité est donc la manière dont Husserl rompt avec l'opposition cartésienne du sujet et de l'objet, où celui-ci n'était qu'une simple représentation mentale. L'acte intentionnel, en constituant la chose visée en objet, l'objective, c'est-à-dire me permet de la connaître en l'atteignant elle-même, et non pas simplement sa représentation dans mon esprit : pour Husserl, contrairement à Kant, l'intuition n'est pas purement passive mais permet d'atteindre tout objet grâce à un sujet donateur de sens. Il n'en reste pas moins que, tout comme chez Descartes, c'est l'ego qui constitue le fondement transcendantal, la conscience, isolée dans sa pureté, apparaissant comme le résidu de l'épochè.

Le problème d'autrui fait son apparition dans la cinquième Méditation cartésienne : comment passer de l'ego absolu, réduit à sa réalité monadique, à la pluralité ? Comment une egologie peut-elle parvenir à légitimer l'altérité d'autrui, à rendre compte de l'autre que moi, de cet étranger qui est aussi mon semblable ? Toute la difficulté de la saisie constitutive d'autrui vient en effet de ce qu'il n'est pas seulement une « chose » du monde ni même une « objectivité vivante », mais un « sujet » qui me perçoit à son tour comme sujet et objet : je le constitue autant qu'il me constitue. N'est-on pas en présence d'une gageure intenable : constituer le sens de l'alter ego à partir du moi seul ? En soutenant que « le sens alter ego se forme en moi » (Méditation cartésienne, V, paragr. 42), Husserl ne nous reconduit-il pas à une pensée voisine du solipsisme cartésien, où l'ego cogito possède dans son esprit l'idée de Dieu comme être infini, même s'il ne le connaît pas ? La démarche de Husserl consiste, dans un premier temps, à faire apparaître la figure de l'autre dans son étrangeté pour, dans un second temps, l'identifier en réintroduisant le même : l'autre que moi doit en définitive apparaître comme un autre moi, un alter ego.

La condition d'apparition d'autrui comme alter ego présuppose une modalité de transfert du sens « moi », contemporain de la prise de conscience de mon existence, aux autres qui deviendront ainsi des moi, même si dérivés. Dans un premier temps, Husserl décide de faire abstraction de tout ce qui est « étranger » (das Fremde) pour délimiter ce qui m'est le plus « propre » (das mir Eigene[...]

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Sylvie COURTINE-DENAMY. ALTÉRITÉ, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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