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À REBOURS, Joris-Karl Huysmans Fiche de lecture

Publié en 1884, À rebours est rapidement devenu un livre culte pour les générations de la décadence et du symbolisme. Pourtant, jusqu'alors, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) appartient à la mouvance naturaliste. Il a collaboré aux Soirées de Médan (1880) et fait partie du petit groupe qui se réunit chez Émile Zola avec Guy de Maupassant, Léon Hennique et Henry Céard. Il a publié notamment Le Drageoir aux épices (1874), Les Sœurs Vatard (1879), En ménage (1881), À vau-l'eau (1882) et L'Art moderne (1883), qui réunit sa critique artistique. À rebours va marquer l'éloignement d'Huysmans à l'égard de Zola et de la doctrine naturaliste.

Un roman immobile

À rebours met en scène l'ultime rejeton d'une famille noble, le duc Jean Floressas Des Esseintes – où l'on reconnut vite quelques traits de Robert de Montesquiou. Tout ou presque se déroule dans la demeure où il s'est installé, à Fontenay-aux-Roses, et qu'il va aménager. Des Esseintes y fuit le Paris de la IIIe République, les salons mondains et l'américanisation croissante de la société : « Tel qu'un ermite, il était mûr pour l'isolement, harassé de la vie, n'attendant plus rien d'elle ; tel qu'un moine aussi, il était accablé d'une lassitude immense, d'un besoin de recueillement, d'un désir de ne plus avoir rien de commun avec les profanes qui étaient, pour lui, les utilitaires et les imbéciles. »

À rebours s'ouvre sur une notice biographique du personnage, avant que le lecteur ne découvre la « philosophie de l'ameublement » de Des Esseintes, largement inspirée par Edgar Poe et Baudelaire. La maison de Des Esseintes porte ainsi à son paroxysme l'affirmation de l'artifice contre la nature, des jouissances de l'art contre la vie. De la même manière que le capitaine Nemo a rompu avec la société et fait du Nautilus un musée, Des Esseintes se reconstruit un univers constitué de livres et d'œuvres d'art. Il est significatif que les murs de son cabinet de travail soient tendus de maroquin orange, tant cette demeure est par essence livresque. Des Esseintes se réfugie dans la lecture des écrivains de la décadence latine, et dans les œuvres de Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Villiers de L'Isle-Adam, Verlaine, Mallarmé. Il les feuillette dans des impressions rarissimes ou dans des éditions uniques, commandées aux meilleurs imprimeurs. De même, la peinture est dominée par Gustave Moreau, Jan Luyken, Greco et Odilon Redon. Préfigurant le Raymond Roussel de Locus solus et probablement inspiré par les inventions débridées de Villiers de L'Isle-Adam, les objets les plus célèbres du roman sont l'orgue à bouche permettant de composer la musique des liqueurs (« chaque liqueur correspondait, selon lui, comme goût, au son d'un instrument »), et la tortue à la carapace recouverte d'or et sertie de pierres précieuses.

Tout ce microcosme est là pour tromper l'ennui, le mal du siècle, la névrose. La fragilité nerveuse de Des Esseintes, sa mélancolie l'amènent à rêver de quelque ailleurs. Mais le voyage en Angleterre ne dépassera pas la gare Saint-Lazare et ses tavernes. On comprend que, pour Des Esseintes, il s'agit seulement de « substituer le rêve de la réalité à la réalité même ».

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Pour citer cet article

Jean-Didier WAGNEUR. À REBOURS, Joris-Karl Huysmans - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DES ESSEINTES

    • Écrit par Antoine COMPAGNON
    • 485 mots

    Personnage de À rebours (1884), roman avec lequel Huysmans se sépare du mouvement naturaliste pour prendre place auprès des décadents. Le duc Jean Des Esseintes, dont le modèle fut peut-être Robert de Montesquiou, le même qui devint plus tard, chez Proust, monsieur de Charlus, est un héros solitaire....

  • SYMBOLISME - Littérature

    • Écrit par Pierre CITTI
    • 11 859 mots
    • 4 médias
    C'est la grande originalité du mouvement symboliste, que la construction d'un lecteur merveilleux avec À rebours. Non seulement parce que sa bibliothèque réunit les poètes maudits, qu'il adore Baudelaire, qu'il a banni tous les classicismes, mais parce qu'il s'est retiré de la nature, dans un ermitage...

Voir aussi