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SÉNÈQUE (4 av. J.-C. 65 apr. J.-C.)

Signification philosophique de l'œuvre

L'œuvre de Sénèque constitue une source précieuse pour la connaissance de la philosophie d'époque hellénistique et impériale. Pour toute la période qui va de la fondation de l'école stoïcienne, vers 300 avant J.-C., jusqu'au ier siècle après J.-C., ses écrits représentent la seule œuvre d'envergure composée par un stoïcien qui nous soit parvenue presque intégralement, sans être réduite à l'état de fragments.

Pourtant, on a parfois contesté la valeur de ce témoignage : les écrits de Sénèque n'auraient pas la structure systématique d'un exposé de doctrine philosophique ; on y trouverait presque exclusivement des développements consacrés à l' éthique ; les répétitions, les déclamations rhétoriques, le style sentencieux nuiraient à la rigueur philosophique.

Les interprétations les plus diverses ont d'ailleurs été proposées en ce qui concerne les doctrines de Sénèque. Les uns le considèrent comme un stoïcien orthodoxe, les autres rattachent son œuvre à la doctrine du « moyen stoïcisme », conformément auquel il aurait refusé le rigorisme de l'ancien stoïcisme. D'autres encore découvrent chez lui une évolution par laquelle il serait passé du monisme propre au stoïcisme orthodoxe au dualisme caractéristique du moyen stoïcisme. Certains enfin le considèrent comme un éclectique.

Ces divergences d'interprétation ont de quoi surprendre. D'une part, on possède une partie relativement considérable de l'œuvre de Sénèque. Dans ce vaste ensemble, les différents traités tournent tous, en partant de différents points de vue, autour du même thème fondamental : le « souverain bien » de l'homme, c'est-à-dire, dans la perspective stoïcienne, la conduite morale de la vie. Ces traités se complètent mutuellement et peuvent offrir une image assez riche des idées morales de Sénèque. On ne devrait donc pas s'attendre à rencontrer de grandes difficultés dans l'interprétation de sa pensée. En fait, ces difficultés résultent des problèmes plus généraux que pose l'histoire du stoïcisme.

Une des causes principales de ces divergences d'interprétation est, sans aucun doute, l'opposition fondamentale que des historiens comme A. Schmekel et K. Reinhardt ont voulu introduire entre l'ancien et le moyen stoïcisme (l'Antiquité ne connaissait pas une telle distinction). C'est en s'efforçant de reconstruire l'œuvre de Panetius et celle de Posidonius, toutes deux presque complètement perdues, que les historiens ont été conduits à cette hypothèse. Mais la critique contemporaine (P. Boyancé) a démontré que bien des attributions de Reinhardt n'étaient pas exactes ; par suite, l'ensemble de sa thèse peut être remise en question. En outre, de nouvelles recherches d'ensemble sur l'histoire du stoïcisme ont rendu problématiques les résultats de Schmekel. Aujourd'hui se fait jour une tendance à considérer comme homogène l'évolution de l'école stoïcienne. Plusieurs travaux récents (I. G. Kidd, O. Luschnat, I. Hadot) ont montré que la doctrine de l'ancien stoïcisme a contenu dès l'origine des éléments caractéristiques que l'on croyait être des innovations radicales datant de l'époque du « moyen stoïcisme ». Il a bien existé, vers le milieu du iie siècle avant J.-C., sous l'impulsion de Diogène de Babylone, une tendance doctrinale particulière au sein de l'école stoïcienne, celle-là même que l'on voudrait appeler le moyen stoïcisme. Mais son originalité semble, en fait, se réduire à déplacer l'accent lors de l'interprétation de certains dogmes fondamentaux du stoïcisme, sous l'influence de l'aristotélisme et du platonisme. La tendance issue de Diogène n'a[...]

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Pour citer cet article

Ilsetraut HADOT. SÉNÈQUE (4 av. J.-C. - 65 apr. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Sénèque, Juste de Gand - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Sénèque, Juste de Gand

Autres références

  • LETTRES À LUCILIUS, Sénèque - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 801 mots
    • 1 média

    Composées au cours des trois dernières années de la vie de Sénèque (4 av. J.-C.-65), ces 124 lettres qui nous sont parvenues, adressées à l'ami et poète Lucilius, constituent un manuel complet de philosophie. Entre Sénèque et le stoïcisme des origines, plus de trois siècles se sont...

  • CINNA CNAEUS CORNELIUS (Ier s.)

    • Écrit par Joël SCHMIDT
    • 166 mots

    Personnage qui n'aurait sans doute jamais passé à la postérité s'il n'avait été utilisé par Sénèque dans son traité De clementia pour montrer que l'empereur Auguste savait pardonner. Cnæus Cornelius Cinna, arrière-petit-fils du grand Pompée, prend en effet le parti de...

  • ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 10 600 mots
    • 2 médias
    C'est, en effet, le théâtre de Sénèque, et non celui de ses illustres modèles grecs, qui fascina les dramaturges élisabéthains, d'abord par le canal des universités et des érudits. Ses tragédies commencèrent à être lues en anglais dès 1559, année où parut la Troade, traduite par...
  • LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) - La littérature

    • Écrit par Pierre GRIMAL
    • 8 569 mots
    • 2 médias
    ...connaissances et des croyances de ce temps. Quant à la philosophie, restée sans représentant depuis Cicéron, elle connaît un renouveau remarquable avec Sénèque. Formé au stoïcisme dès son adolescence, celui-ci témoigne du succès remporté à Rome par ces études et du rôle qu'elles jouèrent dans la vie...
  • LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) - La littérature chrétienne

    • Écrit par Pierre HADOT
    • 6 307 mots
    • 2 médias
    Sénèque est, pour les écrivains latins chrétiens, parfois un modèle de style, mais surtout un maître à penser. Son influence se perçoit notamment chez Tertullien, chez Novatien, qui lui emprunte textuellement des développements dans son écrit De cibis iudaicis, chez Jérôme, chez Augustin,...
  • Afficher les 12 références

Voir aussi