Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SAINTETÉ

L'hindouisme

Il est peu de pays au monde où la sainteté soit aussi prisée et populaire qu'en Inde. Que ce soient les sādhu traditionnels de toute robe et de toute obédience qui parcourent le sous-continent, véritables colporteurs des nouvelles sous leur livrée d'ascète et de yogi, que ce soient de brillants intellectuels, réformateurs néo-hindous, philosophes et chefs d'āśrama, héritiers spirituels des cinq grands commentateurs du Véda, que ce soient le peuple des pèlerins et ses guru chanteurs des louanges du Bienheureux sur la route de ses sanctuaires, ils ont tous en commun d'être de fidèles défenseurs du renoncement à ce monde qui, profondément trompeur et mauvais, ne peut que les faire errer dans leur quête de la réalité ultime et de la délivrance du cycle infernal des renaissances. Dans quelle mesure cette mise en marge du monde, donc d'une société minutieusement organisée avec sa hiérarchie des castes, a-t-elle pu être acceptée comme la voie au bien suprême, une perfection morale ? La société brahmanique a dû, par des moyens divers, des détours subtils, tolérer cet irrésistible idéal de la sainteté (qui l'a peut-être précédée, selon certains, sur la terre indienne) et l'intégrer à son système pour se survivre.

Idéal de sainteté et devoir social

Il semble qu'il y ait eu de tout temps en Inde des « renonçants » ( saṃnyāsin), hommes (et même parfois femmes) se retirant loin de tout environnement humain, adonnés à la méditation, à l'ascèse yogique, pratiquant une rigoureuse chasteté, en vue de conquérir une réalité supérieure cachée derrière notre monde visible, illusoire, mirage de la māyā. Ermites forestiers ou moines errants, ils ne sont préoccupés que de leur salut individuel : obtenir, par la résorption dans le Brahman, ce bien suprême qu'est la délivrance du cycle des renaissances (saṃsāra) qui oblige tout être à payer indéfiniment de plus ou moins de souffrances l'héritage de ses vies antérieures. La délivrance ultime ( mokṣa) peut s'obtenir avant la mort même du saint : il est alors un jīvana-mukta, un « délivré vivant », qui transmet son expérience à ses disciples et sanctifie de son regard (darśana) la foule de ses fidèles qui viennent l'adorer à l'égal d'une divinité. Souvent, on continuera après sa mort à lui offrir un culte, peut-être lui bâtira-t-on un sanctuaire, sa légende ira s'amplifiant des multiples exploits et des pouvoirs qu'il sut acquérir. Mais cet état de fait est-il compatible avec l'adhésion au dharma, la règle de vie que tout membre de la société brahmanique, donc des trois castes supérieures, doit suivre à la lettre, telle qu'elle se trouve consignée dans les dharmaśāstra ? Ceux-ci exigent de l'homme un fidèle respect de son devoir de caste ; c'est la seule perfection morale qui lui est imposée. Son devoir consiste à cultiver respectivement les trois buts védiques de la vie, dharma-artha-kāma (devoir-profit-plaisir), et un quatrième but, le mokṣa, qui n'est proposé qu'une fois les trois autres accomplis. On réalise cela en passant (théoriquement) par quatre étapes de vie : celle de l'étudiant (brahmacārin), celle du chef de famille (grhastha), celle de la retraite dans la forêt (āraṇyaka) et celle (qui correspond au mokṣa) du renonçant solitaire. Cette dernière étape présuppose strictement les autres. Le renonçant qui refuse de passer par l'état de mariage et de procréer un fils qui continuera sa lignée et fera les offrandes rituelles aux mânes de ses ancêtres est un pécheur selon le dharma ; le salut personnel qu'il poursuit ne peut s'accomplir que s'il a satisfait à ses devoirs envers son groupe.

Toutefois, un renonçant sincère ne peut que refuser cette attitude : l'obtention de la délivrance abolit[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur au Collège de France, chaire d'étude du bouddhisme
  • : professeur à l'Institut catholique de Paris
  • : ancien professeur au collège philosophique et théologique de Toulouse, co-directeur de la collection Études musulmanes, collaborateur de l'Encyclopédie l'Islam
  • : membre de l'École française d'Extrême-Orient
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

André BAREAU, Yves CONGAR, Universalis, Louis GARDET et Françoise MALLISON. SAINTETÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARHAT ou ARHANT

    • Écrit par Jean-Christian COPPIETERS
    • 308 mots

    Le terme arhat ou arhant (de la racine arh, mériter), que l'on peut traduire par « saint », désigne dans le bouddhisme ancien le stade le plus élevé dans la progression religieuse pour les adeptes du Petit Véhicule, stade qui fait suite aux étapes de srotaāpanna, de sakrdāgāmin et d'anāgāmin....

  • BOUDDHISME (Histoire) - Le Buddha

    • Écrit par André BAREAU
    • 4 309 mots
    • 2 médias
    La Voie de la Délivrance est la « Sainte Voie aux huit membres » : opinion correcte, intention correcte, parole correcte, activité corporelle correcte, moyens d'existence corrects, effort correct, attention correcte et concentration mentale correcte. Chacun de ces « membres » doit être visé au moyen...
  • BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme indien

    • Écrit par Jean FILLIOZAT, Pierre-Sylvain FILLIOZAT
    • 10 641 mots
    • 1 média
    Au dernier des quatre stades de la marche à l'arrêt de la douleur, le saint (arhat) est en possession, dès ce monde, d'une première forme de l'Extinction. À la mort, il obtiendra l'Extinction totale. L'Éveil ( bodhi) est beaucoup plus difficile à obtenir. Les saints qui...
  • CANONIQUE DROIT

    • Écrit par Patrick VALDRINI
    • 8 003 mots
    ...individuels (ermites et vierges consacrées), ou collectifs (instituts de tout genre). Cette organisation est faite sur le fond de la vocation universelle à la sainteté, propre à tout fidèle, que l'Église régule lorsque des personnes veulent la vivre par la pratique des conseils évangéliques dans des instituts...
  • Afficher les 26 références

Voir aussi