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BARTHES ROLAND (1915-1980)

Le champ de la signification

Que ce soit avec Mythologies – suite d'analyses sarcastiques de quelques représentations de l'idéologie petite-bourgeoise (faits divers, photos, articles de presse...) – ou avec Le Degré zéro de l'écriture, « histoire du langage littéraire qui ne [serait] ni l'histoire de la langue, ni celle des styles, mais seulement l'histoire des Signes de la Littérature », l'œuvre de Barthes se propose d'emblée comme une critique de la signification. Signification et non pas «  sens » ; non pas les systèmes arbitraires de communication, les langages par lesquels les hommes codifient les rapports entre le monde et eux ou entre eux-mêmes, mais les systèmes annexes, seconds, par lesquels, à travers les langages, ils émettent indirectement des valeurs. Ainsi la phrase « quia ego nominorleo » a un sens propre, traduisible en français ; elle a aussi pour signification d'être simplement un exemple de grammaire. Dans une pièce de Racine, le mot « flamme » veut dire amour ; c'est aussi un simple signe permettant de reconnaître l'univers de la tragédie classique. Un bifteck-frites a des qualités spécifiques ; c'est aussi le symbole d'une certaine francité. Bref, tout objet de discours, outre son message direct, sa dénotation, sa référence au réel, peut recevoir des « connotations » suffisantes pour entrer dans le domaine de la signification, dans le champ des valeurs. Tout peut devenir signe, tout peut être mythe.

Pourquoi donc une critique du mythe (et plus globalement du signe, de la signification) ? D'abord parce que celui-ci est parasite : forme sans contenu, il ne crée pas de langages, mais les vole, les détourne, les exploite à son profit pour, en un métalangage, faire parler obliquement les choses. Ensuite parce qu'il est frauduleux : masquant les traces de sa fabrication, l'historicité de sa production, il se donne hypocritement comme allant de soi ; l'idéologie bourgeoise se constitue en pseudo-Nature, le stéréotype en évidence et la Doxa (« c'est l'Opinion publique, l'Esprit majoritaire, le Consensus petit-bourgeois, la Voix du Naturel, la Violence du Préjugé ») en vérité éternelle. Enfin parce qu'il est pullulant : il y a trop de signes et trop de signes exagérés, bouffis, malades ; la signification pléthorique non seulement prolifère mais encore en rajoute, jusqu'à l'écœurement et la nausée (« Combien, dit Barthes, dans une journée, de champs véritablement insignifiants parcourons-nous ? Bien peu, parfois aucun. » Que l'on songe à la surcharge agressive des affiches, des slogans, des images publicitaires, des gros titres). Et Barthes de rêver du degré zéro de l'écriture (cette écriture blanche de Blanchot, de Robbe-Grillet, de L'Étranger de Camus), des interprétations sobres d'un Lipatti ou d'un Panzéra, des photos dépouillées d'Agnès Varda, de matériaux mats et frais, comme le bois...

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Philippe DULAC. BARTHES ROLAND (1915-1980) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Roland Barthes - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Roland Barthes

Autres références

  • LE DEGRÉ ZÉRO DE L'ÉCRITURE, Roland Barthes - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 257 mots
    • 1 média

    Publié en 1953 aux éditions du Seuil, Le Degré zéro de l'écriture est le premier livre de Roland Barthes (1915-1980), qui ne s'était fait connaître jusqu'alors que par des articles (en particulier ceux qui seront réunis, en 1957, dans les Mythologies) donnés aux Lettres nouvelles...

  • ROLAND BARTHES (T. Samoyault)

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 107 mots

    Le centenaire de sa naissance, le 12 novembre 1915, permet de redécouvrir Roland Barthes à travers plusieurs colloques, une exposition à la Bibliothèque nationale de France, où son frère a déposé ses archives en 2010, et des publications très variées : de l’Albumoù Éric Marty a réuni...

  • RHÉTORIQUE, notion de

    • Écrit par Alain BRUNN
    • 1 664 mots
    ...d'une part, les travaux menés sur l'histoire de la rhétorique par Marc Fumaroli (L'Âge de l'éloquence, 1980) ou par la nouvelle critique de Roland Barthes dès son séminaire de 1964-1965 ont contribué à mettre en valeur son rôle historique déterminant dans l'élaboration d'un certain nombre de...
  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par Daniel OSTER
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    Le même jeu de brouillage des instances énonciatives pratiqué par Aragon dans La Mise à mort (1965) a permis à Roland Barthes de déconstruire dans la forme les codes de l'autobiographie. L'alternance des points de vue, la fragmentation, l'utilisation carnavalesque des langages, la ...
  • BOUDINET DANIEL (1945-1990)

    • Écrit par Elvire PEREGO
    • 542 mots

    C'est un Polaroid énigmatique de Daniel Boudinet qui ouvrait l'ouvrage de Roland Barthes sur la photographie, La Chambre claire (1980) : « La photographie – ma photographie –, écrivait Barthes, est sans culture : lorsqu'elle est douloureuse, rien, en elle, ne peut transformer le chagrin...

  • COMME UNE IMAGE (A. Jaoui)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 053 mots

    Lolita a vingt ans et se trouve « grosse », « moche », « nulle »… S'il est vrai que, lorsqu'elle essaie une robe dans la cabine d'un magasin, elle ne donne pas l'image filiforme que la publicité renvoie du corps de la femme, là n'est peut-être pas l'essentiel. Avec le même succès public, Agnès Jaoui...

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Voir aussi