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BOUDINET DANIEL (1945-1990)

C'est un Polaroid énigmatique de Daniel Boudinet qui ouvrait l'ouvrage de Roland Barthes sur la photographie, La Chambre claire (1980) : « La photographie – ma photographie –, écrivait Barthes, est sans culture : lorsqu'elle est douloureuse, rien, en elle, ne peut transformer le chagrin en deuil. » Aussi, l'exposition conçue par la galeriste Viviane Esders, Daniel Boudinet-Roland Barthes, présentée dans le cadre des dix ans du Mois de la photo, dédié à la mémoire du philosophe, apparaissait-elle, sans aucune préméditation, comme le premier hommage posthume et donnait à l'ensemble de la biennale une certaine gravité. Dès 1977, Barthes présentait, dans un texte paru dans une livraison de la revue Créatis, l'œuvre de Daniel Boudinet : « C'est une ligne de crête entre deux abîmes : celui du naturalisme et de l'esthétisme [...]. Une sorte d'invitation silencieuse à [...] philosopher. » Classique par la forme, tour à tour paysagiste, photographe d'architecture, portraitiste, à l'aise dans la couleur comme dans le noir et blanc, Daniel Boudinet est un photographe de la vie intérieure, ou plutôt, serait-on tenté de dire, d'un qui-vive intérieur.

D'une campagne en Alsace ou d'un paysage en Italie – les jardins de Bomarzo, par exemple –, il sut tirer des images symboliques de la « vraie vie », où l'être est brutalement rendu à l'existence végétale des signes, au lent apprentissage de la solitude et de la nature, des éléments et des hommes. Dans son travail intitulé Bagdad-sur-Seine, guetteur vigilant à l'affût du détail qui cerne l'indicible, Boudinet s'était attaché à voir autrement la banalité des rues de Paris et de ses façades – ville imaginaire, théâtre vide où se déchaînent les sortilèges de l'Orient. À mesure que se poursuivait l'œuvre, le style s'épurait.

Dans Portrait pour un cinématographe (1983), l'artiste s'essaie à la représentation de comédiens, vedettes, metteurs en scène. Peter Brook, Maurice Pialat, André Téchiné, Dalio, Dirk Bogarde, Joseph Losey, Éric Rohmer, Wim Wenders sont révélés dans une lucidité de l'observation et de l'analyse (justesse de la pose du regard, de l'accessoire ; ascèse technique et esthétique).

Les photographies de Daniel Boudinet nous plongent dans un état ambigu – état à la fois délicieux et mélancolique : son souci de discrétion et d'effacement permettait à l'artiste d'aller un peu plus avant dans le mystère de l'être, dont il avait fait le thème dominant de recherches encore en pleine gestation.

De nombreuses expositions personnelles et collectives ainsi que des commandes artistiques avaient confirmé le talent de Daniel Boudinet : à La Remise du parc (galerie Samia Saouma), chez Viviane Esders, Agathe Gaillard, Maximilien Guiol, au Centre Georges-Pompidou, à la Bibliothèque nationale, au musée Sainte-Croix de Poitiers, à l'hôtel Sully.

La fondation Cartier a, en 1987, passé commande à Daniel Boudinet d'un travail sur le jardin de Ian Hamilton Finlay, et, en 1989, d'un travail sur le paysage.

— Elvire PEREGO

Bibliographie

D. boudinet, Bagdad-sur-Seine, avec un texte d'Yves Simon, Fayard, Paris, 1973 ; Bomarzo, avec un texte de René Fouque, Stil, 1977 ; Créatis, no 4, avec un texte inédit de Roland Barthes, éd. Créatis, 1977 ; En Alsace, Buch et Reumaux, 1979 ; Portrait pour un cinématographe, Centre d'information cinématographique de l'Institut français de Munich, 1983 ; Carlo Scarpa, Cahier de la recherche architecturale, éd. Parenthèse, Marseille, 1986 ; L'Écrivain et son portrait, éd. Régine Desforges, 1987.

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Écrit par

  • : historienne de la photographie, département de la recherche bibliographique, Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Elvire PEREGO. BOUDINET DANIEL (1945-1990) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )